Les énergies « renouvelables » en Tunisie Une transition injuste

Alors que la Tunisie entre aujourd’hui dans une nouvelle transition énergétique, suite à ses engagements internationaux, quasiment aucun débat n’a eu lieu au niveau national sur les aspects redistributifs de cette transition, ce qui soulève de sérieuses inquiétudes et des questions cruciales.

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  • Chafik Ben Rouine
  • Flavie Roche
Illustration by Othman Selmi

Illustration by Othman Selmi

La Tunisie a atteint un taux d’électrification élevé, passant de 21 % à la création de la Société tunisienne d’électricité et de gaz (STEG) en 1962 (six ans après l’indépendance) à 99,8 %1aujourd’hui. Le secteur énergétique du pays connaît toutefois plusieurs écueils. Fortement dépendant de l’énergie fossile (qui représente 97 % de la production d’électricité), le secteur est confronté à une consommation croissante, tandis que les ressources nationales déjà limitées ne cessent de diminuer. En effet, la production nationale d’énergie primaire a diminué de 36 % entre 2010 et 2018. Sur la même période, la demande en énergie a plus que doublé. Dans ce contexte, le déficit du bilan énergétique primaire s’est creusé, passant de 15 % en 2010 à près de 50 % en 2018, renforçant en parallèle la dépendance énergétique de la Tunisie (plus de la moitié du gaz naturel consommé est importé d’Algérie). L’ensemble de ces facteurs a entraîné une hausse constante des prix de l’électricité pour les consommateurs.La Tunisie est signataire de l’Accord de Paris (2015) et s’est engagée à respecter sa contribution déterminée au niveau national (CDN), qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays dans tous les secteurs de 41 % par rapport aux niveaux de 2010 d’ici 2030, bien que la Tunisie ne contribue qu’à 0,07 % des émissions mondiales.3 Les réductions prévues incluent une diminution de 46 % des émissions dans le secteur de l’énergie. La réalisation de ces objectifs s’alignerait sur l’ambition de la Tunisie de réduire son déficit énergétique.

Parallèlement, la Tunisie encourage la diversification de son mix énergétique par le développement des énergies renouvelables. Or, les politiques climatiques conçues par la Tunisie au cours des dernières décennies n’ont pas réussi à apporter les changements nécessaires, car elles restent ancrées dans un cadre capitaliste qui impose la recherche d’une croissance illimitée et qui donne priorité au profit privé. Cela se traduit ainsi par « une expansion énergétique, plutôt qu’une transition énergétique ».4 Une alternative aux modèles jusqu’ici développés est indispensable, visant à intégrer des objectifs sociaux et environnementaux dans les politiques climatiques. Cela pourrait se faire par une approche axée sur les biens publics et la propriété publique, si elle était portée par des institutions responsables – précisément dans le cadre de la démocratie énergétique – et dans le cadre « d’une participation et d’un contrôle populaires authentiques ».5 Pour relever ce défi et apporter de « vraies » solutions, le concept de « transition juste » a été introduit dans les discussions mondiales sur la transition énergétique. Ce concept préconise une transition équitable vers une économie écologiquement durable, équitable et juste pour tous ses membres. Il soutient que transformer la façon dont nous utilisons et pensons l’énergie exige des transformations profondes dans chaque secteur, et que la transition énergétique doit être mise en œuvre avec précaution afin de ne pas reproduire ni creuser les inégalités existantes.

L’idée d’une transition juste met donc l’accent sur la question de la démocratie, ainsi que sur les questions de souveraineté sur les biens publics et l’environnement (entre autres)6 Ainsi, se concentrer sur les intérêts des communautés dans la mise en place d’une transition énergétique implique de s’éloigner du système financier actuel, basé sur le profit, afin de prendre en compte d’autres dimensions. Selon le cadre de la transition juste, une véritable solution ne peut se contenter de s’attaquer à un seul aspect du changement climatique – comme les sources d’énergie – et négliger les secteurs sociaux et environnementaux qui peuvent dépendre de ces sources de diverses manières. IL est impératif de s’éloigner des visions et objectifs étroits et d’envisager la manière dont les énergies renouvelables doivent être développées.

En 2017, faisant référence à la nécessité d’une transition juste, Movement Generation affirmait que « la transition est inévitable. La justice ne l’est pas ». Cependant, au vu des récents développements, notamment le fait que la pandémie de COVID-19 n’a pas réussi à provoquer de changement significatif dans notre système, il devient de plus en plus évident que le statu quo pourrait durer beaucoup plus longtemps que nous ne l’aurions espéré, tandis que ses répercussions négatives continuent d’augmenter à un rythme exponentiel. Dans ce contexte, il faut agir sans délai pour assurer à la fois une transition efficace et la justice.

Alors que la Tunisie s’engage dans une nouvelle transition énergétique suite à ses engagements internationaux, presque aucun débat n’a eu lieu au niveau national sur les aspects redistributifs de cette transition, ce qui soulève de sérieuses inquiétudes et des questions fondamentales, telles que : qui seront les gagnants et les perdants de cette transition ? Qui contrôle les connaissances et les technologies qui serviront à la mise en œuvre de cette transition et dans quelle mesure cette transition risque-t-elle de renforcer la dépendance historique de la Tunisie vis-à-vis des puissances étrangères ? Cette transition énergétique ouvrira-t-elle la porte à la libéralisation et à la privatisation du secteur de l’énergie ? Dans quelle mesure cette transition énergétique permettra-t-elle de résoudre les problèmes de chômage structurel et d’inégalités dans le pays ? Cette transition facilitera-t-elle une augmentation du contrôle démocratique sur les ressources naturelles ou exacerbera-t-elle l’accaparement capitaliste des terres aux dépens des communautés locales ?

Cet article examine le concept de transition juste dans le contexte de la Tunisie et vise à fournir une réflexion pour des éléments de réponse aux questions cruciales qu’il implique. Dans une première partie, nous présentons la loi 2015-12 sur les énergies renouvelables et ses implications. Nous étudions ensuite dans quelle mesure la transition vers les énergies renouvelables représente une opportunité de développement convaincante pour la population tunisienne elle-même. Enfin, nous nous interrogeons sur les impacts du développement des énergies renouvelables sur les droits des communautés et sur l’environnement.

 

Illustration by Othman Selmi

La loi sur les énergies renouvelables : un tournant dans la transition énergétique en Tunisie

a) Le Plan Solaire Tunisien : un renouvellement des logiques de dépendance comme orientation stratégique

En 2015,7 la Tunisie a lancé la version actualisée du Plan Solaire Tunisien (PST), un plan opérationnel qui s’inscrit dans la stratégie de transition énergétique du pays. Le plan a été initialement publié en 2009 et vise à augmenter le ratio d’énergie renouvelable de 3 % en 2016 à 30 % en 2030,8ce qui nécessite la production de 3 815 mégawatts (MW) supplémentaires à partir d’énergies renouvelables. Selon le PST, 46 % des nouvelles énergies renouvelables proviendront d’éoliennes, 39,6 % de panneaux solaires photovoltaïques (PV), 11,8 % d’énergie solaire concentrée9 et 2,6 % de biomasse.10

Les objectifs intermédiaires du PST ont été mis à jour à la suite d’une conférence organisée en décembre 2017 sur l’accélération de la mise en œuvre des projets d’énergie renouvelable.11 Cette politique suit une tendance régionale, voire mondiale, à l’expansion des énergies renouvelables à recourir en partie à des partenariats public-privé (PPP), justifiés par l’absence de ressources gouvernementales suffisantes pour construire des centrales électriques.12 À titre d’exemple, le Maroc suit une voie similaire depuis 2009, date à laquelle le roi Mohammed VI a présenté son plan solaire.13 Or, un PPP étant une forme de titrisation d’un projet public où les profits sont privatisés et les pertes sont socialisées,14 la promotion de tels partenariats comme substitut aux marchés publics et à la dette publique est par définition erronée. Le PST nécessite environ 8 milliards d’euros d’investissement sur la période 2015-2030, dont 6,3 milliards pour les équipements et 1,7 milliard pour le développement du réseau électrique.15

Selon le plan, deux tiers de ce financement proviendront de sources privées, principalement des investissements étrangers, et un tiers de sources publiques. La majeure partie des besoins de financement identifiés concerne l’importation de connaissances et d’expertise (par le biais de technologies, d’équipements et de brevets), ce qui ne fera que renforcer le schéma actuel de dépendance de la Tunisie. La dette extérieure de la Tunisie augmentera également afin de financer cette technologie importée, soumise à des conditions de monopole et à des droits de propriété intellectuelle.

Dans ce contexte, le PST est conçu de telle sorte qu’il renforce la dynamique de pouvoir par laquelle un pays du Sud doit emprunter davantage afin d’importer la technologie et la production de connaissances du Nord pour assurer la transition vers les énergies renouvelables. À travers ce plan, la Tunisie continue de promouvoir un modèle économique basé sur l’investissement étranger comme seul moyen de financer son développement. Alors que certaines parties du financement nécessaire au plan tunisien pour les énergies renouvelables peuvent provenir d’investissements étrangers (ou même de la finance/dette climatique), aucun effort n’a été fait pour explorer les moyens de produire et de contrôler les connaissances nécessaires à la réalisation de certaines parties du PST et réduire ainsi la dépendance des connaissances et des capitaux vis-à-vis des pays industrialisés.

b) La loi 2015-12 : libéralisation, privatisation et absence de contrôle de l’Etat

Depuis 2009, des mesures ont été prises pour libéraliser progressivement le secteur de l’énergie en Tunisie : la loi n°2009-7, datée du 9 février 2009, a introduit dans le secteur privé la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables pour l’autoproduction.16 Elle a été suivie par le décret n° 2009-2773, détaillant les conditions de vente des surplus à la société nationale STEG. Un grand pas a été franchi en 2015, avec la loi n° 2015-1217, relative à la production d’électricité à partir de ressources renouvelables. Cette loi a ouvert le réseau électrique aux entreprises privées, leur permettant de produire de l’énergie, principalement pour un usage domestique et pour l’exportation par la suite, par le biais d’un régime d’autorisations (pour les projets de 1 à 10MW) et d’un régime de concessions (pour les projets de plus de 10MW). Ces mesures de libéralisation, qui mettent fin au monopole de la STEG, visent à rendre le cadre réglementaire plus attractif pour les investisseurs étrangers18 D’autres décrets et règlements ultérieurs précisent les conditions et les procédures de réalisation de ces projets, y compris la connexion au réseau national20 et la fourniture de contrats types pour les entreprises qui commencent à produire sous les régimes susmentionnés. Dans ce contexte, l’idée que le secteur de l’énergie fonctionne plus efficacement lorsqu’il est géré par des entreprises privées, par opposition à l’inefficacité de la gestion publique, prévaut encore aujourd’hui en Tunisie, malgré un sérieux manque d’études indépendantes sur l’impact des politiques de libéralisation sur le secteur de la production d’électricité21 Le processus de privatisation, initié il y a plusieurs décennies, n’a pas fourni suffisamment de preuves de la justesse de ce point de vue.

L’affirmation selon laquelle les entreprises privées fournissent de meilleurs services pour un prix inférieur ne se confirme pas dans les faits. Au contraire, alors que les États ont recours aux PPP pour des raisons de développement, les entreprises privées privilégient avant tout le profit dans le cadre de ces contrats, et cet aspect de divergence d’intérêts a souvent été négligé. Ces partenariats induisent généralement une augmentation des prix, mais aussi des violations du droit du travail, une baisse de la qualité des services et l’incapacité à mettre en œuvre une stratégie climatique ambitieuse. La loi tunisienne relative aux PPP, promulguée fin 2015, ne fournit pas d’outils suffisants à l’État pour faire face aux impacts négatifs de ces types de projets, ni pour assurer la protection des intérêts publics et citoyens. Aucun droit de compensation pour les communautés affectées n’est envisagé, pas plus que des mécanismes de contrôle et de supervision par le gouvernement – pour empêcher l’accaparement des terres, par exemple.22 En outre, la société civile et les communautés locales ont un accès limité aux informations sur les propositions de PPP et ne sont pas incitées à participer aux discussions.23 Par conséquent, les PPP soulèvent des problèmes financiers pour le gouvernement, tout autant qu’ils représentent une menace pour l’efficacité de la prestation de services et le contrôle démocratique des projets.

c) L’influence des intérêts internationaux dans le processus d’élaboration de politiques

La transition énergétique en Tunisie est promue par des acteurs internationaux dont certains sont liés à des projets antérieurs qui visaient à développer les énergies renouvelables en Afrique du Nord pour les exporter en Europe. L’un d’entre eux, Desertec, était centré sur un « flux illimité de ressources naturelles bon marché du Sud vers le Nord riche et industrialisé, maintenant ainsi une division internationale du travail profondément injuste », comme l’a décrit Hamza Hamouchene.24 Tout comme Desertec, Nur Energy (une entreprise britannique) et Zammit Group (basé à Malte) sont les principales parties prenantes du projet TuNur, qui visait à ses débuts à établir une centrale solaire géante dans la région de Kebili, dans le but d’exporter l’électricité produite vers l’Europe par le biais de câbles sous-marins. Ce projet a constitué un puissant lobby afin d’obtenir l’inclusion de dispositions relatives aux exportations dans la législation sur les énergies renouvelables, contre la résistance du monopole public de l’électricité.25 Le rôle des acteurs internationaux dans l’influence des politiques nationales est largement documenté dans le domaine des énergies renouvelables, notamment en ce qui concerne la relation germano-tunisienne dans ce secteur. L’Allemagne, pionnière en la matière, voit en Tunisie un large potentiel à exploiter. Ainsi, depuis le partenariat germano-tunisien sur l’énergie de 2012, l’Allemagne apporte un soutien technique et financier à travers des investissements industriels et la création d’instituts et de fondations en Tunisie. Ces dernières cherchent, entre autres, à influencer les partis politiques en promouvant des idées de développement « vert ».26 Ces actions, menées dans le cadre de la coopération bilatérale, ont eu des répercussions sur le cadre réglementaire tunisien.

Certaines recommandations formulées par l’agence allemande pour la coopération internationale de développement (GIZ) et Desertec Industrial Initiative (Dii), semblent avoir anticipé certaines des mesures contenues dans la loi de 2015. Officiellement, les motifs de la coopération allemande seraient bénéfiques au développement de la Tunisie, en particulier pour l’emploi.27 Les actions de l’Allemagne en Tunisie s’inscrivent dans le contexte des activités de l’Union européenne (UE) dans ce domaine. Une communication de 2015 de la Commission européenne sur la stratégie énergétique européenne exprime clairement la volonté de l’Union européenne (UE) d’encourager et de développer les énergies renouvelables, notamment par le biais de la coopération internationale avec les pays tiers.28 Cela se ferait dans le cadre du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE), établi au début des années 1990. En réalité, l’effort européen pour impliquer la Tunisie dans ce processus remonte à 2013. Le secrétariat du TCE, par l’intermédiaire de l’ambassade d’Allemagne, avait alors proposé au pays d’adhérer au traité dans le cadre de son « projet MENA » d’expansion dans la région. L’adhésion du pays au TCE est toujours en cours de discussion.29 Le TCE comprend des dispositions relatives aux investissements étrangers dans le secteur de l’énergie, y compris en matière de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS), un outil qui donne aux entreprises le pouvoir d’intenter des actions en justice contre des États lorsqu’elles considèrent que les politiques publiques sont préjudiciables à leurs intérêts, indépendamment du fait que ces politiques visent à favoriser une transition énergétique ou des droits sociaux d’intérêt public. Les poursuites engagées dans le cadre de l’ISDS ont déjà rapporté des milliards de dollars de l’argent des contribuables aux grandes entreprises. Ainsi, la simple menace de l’ISDS contraint les États dans la conception de leurs politiques et entrave les processus démocratiques.30

Suivant les principes énoncés dans le TCE, l’Union européenne cherche à poursuivre la libéralisation afin d’uniformiser le cadre législatif tunisien par le biais de négociations autour de l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA). Cette offensive de libéralisation minerait la capacité de l’État à réglementer – parfois contre les intérêts des investisseurs – et faciliterait donc l’introduction d’investisseurs européens (qui bénéficient des vastes programmes de subventions de l’UE) sur le marché tunisien. Cela ouvrirait finalement la voie aux exportations, assurant ainsi la sécurité énergétique de l’Europe, plutôt que celle de la Tunisie.31 Pour les entreprises européennes, l’accès au marché tunisien représente une augmentation de la rentabilité et de la compétitivité en raison de la réduction des charges salariales et fiscales et du transfert des coûts environnementaux. La pression exercée sur la Tunisie, et le manque de consultation de la société civile dans le processus de négociation de l’ALECA, ont déjà été soulignés.32

d) Progression du processus de privatization et résistance

Avant la loi n°2015-12, la production d’électricité – hors régimes d’autoproduction – était le monopole de la société de service public, la STEG. Cette entreprise publique s’était déjà lancée dans plusieurs investissements pour développer la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables. Ainsi, deux centrales éoliennes appartenant à la STEG ont été implantées dans le nord de la Tunisie avant 2015 : une centrale de 54MW à Sidi Daoud et une centrale de 190MW à Bizerte.  Cependant, le dirigeant de la société estime que ces projets sont très coûteux. Dans une interview accordée au magazine Nawaat, Taher Aribi, ancien PDG de la STEG, a déclaré : « Pour [investir] dans de tels projets, nous sommes dans l’obligation de signer des conventions de dette. Les projets de la production de l’électricité propre (…) coûtent trois fois plus [cher] qu’une centrale conventionnelle. Notre capacité financière est fragile pour des fins d’investissements, d’emprunts ou de remises de garanties ».34

Depuis la libéralisation de la production d’électricité renouvelable dans le cadre des régimes d’autorisation et de concession, la proportion d’investissements privés a augmenté. Selon les chiffres de 2018, 42,5 % de l’énergie électrique provenant des projets d’énergie éolienne et solaire prévus seront issus de PPP. Toutefois, il convient de mentionner que toutes ces centrales ne sont pas encore en service.35 En parallèle, la STEG a développé ses deux centrales photovoltaïques à Tozeur (Tozeur I et Tozeur II), de 10MW chacune.

De par le manque d’informations disponibles sur l’avancement des projets d’énergies renouvelables, il est difficile de définir dans quelle mesure le secteur est actuellement développé, et dans quelles conditions. Les informations publiées sur le site du ministère de l’industrie, des mines et de l’énergie indiquent que « La STEG a commencé en 2017 la construction de la première centrale [photovoltaïque] à Tozeur [Tozeur 1] d’une puissance [de] 10MW qui a été mise en service le 10/03/2021. Une seconde centrale d’extension de 10MW [Tozeur 2] au même endroit est entrée en service le 24/11/2021 »,36 alors que la presse faisait état à ce même moment des retards d’opérationnalisation des centrales à cause de problèmes financiers et matériels.37 Ces centrales ont finalement été officiellement inaugurées en mars 2022.

Une autre centrale électrique a été construite à Tataouine et fut prête à être mise en service en juin 2020. Cependant, l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a bloqué le raccordement de la centrale au réseau national,38affirmant que le processus conduirait finalement à la privatisation de la STEG. Cette situation n’a pas été résolue à ce jour,39la centrale attendant d’être connectée au réseau électrique national pendant que les négociations avec le syndicat se poursuivent.

En juillet 202040, le ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie41 a publié sur Facebook un message accusant la Fédération générale de l’électricité et du gaz (FGEG), la branche sectorielle de l’UGTT, de « sabotage » contre l’opérationnalisation de la centrale photovoltaïque de 10 MW à Tataouine, construite sous le régime de l’autorisation par l’Entreprise tunisienne des activités pétrolières (ETAP), une entreprise publique et une filiale d’ENI (une compagnie pétrolière italienne). Cependant, l’opposition de la FGEG au projet doit être lue dans le contexte de son opposition à la privatisation en général. En fait, l’opposition de l’UGTT aux PPP en particulier, et à la privatisation de la production d’électricité en général, n’est pas nouvelle.

Dès janvier 2014, la FGEG s’est élevée contre le projet de loi préparé par le ministère de l’industrie et adopté par le gouvernement, qui allait finalement devenir la loi 2015-12. Elle a critiqué le processus décisionnel à l’origine du projet de loi, affirmant qu’il avait été élaboré sans impliquer l’UGTT, ni les cadres et ingénieurs de la STEG. Le secrétaire général du FGEG a noté que le projet avait été lancé dans la précipitation et sans se référer à des études préalables ni à une stratégie énergétique nationale générale. Le 27 mars 2018, un appel à la non-privatisation du secteur de la production d’électricité a été réitéré par le FGEG. Plus tard, le 26 février 2020, quelques mois avant le blocage de la centrale de Tataouine par l’UGTT, le gouvernement a publié un décret autorisant la création de sociétés d’auto-production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et définissant les conditions de transport de l’électricité et de vente de l’énergie excédentaire à la STEG. Le secrétaire général de la FGEG42 a ensuite exprimé l’opposition catégorique de la Fédération à la privatisation de la production d’électricité en Tunisie. Ces politiques ont été décrites par la FGEG comme ouvrant la voie aux investissements privés et étrangers et favorisant le profit des investisseurs au détriment du service public (STEG). La FGEG avait déclaré qu’elle protesterait contre cette orientation car la production d’électricité par des particuliers et sa vente directe aux clients perturberait le réseau électrique et aurait un impact sur la distribution de l’électricité, la rendant inaccessible à certaines catégories de la population. Elle rejette également la marchandisation de l’électricité, qui porte atteinte à la sécurité nationale et au statut public de la STEG.

Illustration by Othman Selmi

Impacts de la transition énergétique actuelle : un tournant juste pour le développement de la Tunisie et les droits des populations ?

a) Une réelle opportunité de développement pour le secteur tunisien des énergies renouvelables ?

Eu égard aux ressources humaines et au développement des compétences, la Tunisie met en œuvre un programme de formation dans le secteur de l’énergie, qui a été adapté aux énergies renouvelables. A cet effet, des programmes académiques et professionnels ont été conçus, dispensés par des universités publiques et privées, y compris des écoles d’ingénieurs. L’Agence nationale pour la maîtrise de l’énergie (ANME) a également commencé à proposer des programmes de formation et de certification. Ces efforts ont permis de développer des ressources humaines capables de fournir aux entreprises les compétences nécessaires pour contribuer à la mise en œuvre des programmes nationaux d’énergies renouvelables, avec une plus grande « compétitivité » (c’est-à-dire à moindre coût). Cependant, les compétences et l’expertise locales sont insuffisantes pour permettre aux entreprises locales de concevoir, réaliser et maintenir des projets de centrales éoliennes et solaires à grande échelle. En outre, la stagnation du parc éolien de Bizerte depuis 2012 a entraîné la désintégration de l’expertise accumulée précédemment.43 Parallèlement, un certain nombre d’opérateurs ont vu le jour et donnent corps et structure au secteur des énergies renouvelables en cours de développement : institutions gouvernementales, fabricants et fournisseurs d’équipements, sociétés d’installation et de maintenance, bureaux d’études, etc. Par ailleurs, forte de son expérience industrielle antérieure, la Tunisie a la capacité de développer des partenariats avec des fabricants étrangers pour produire des équipements d’énergies renouvelables. Dans le domaine du photovoltaïque, les entreprises nationales sont engagées dans l’assemblage de certains modules importés de Chine, d’Allemagne, du Japon, d’Italie, d’Espagne et de France.

Dans le cas des éoliennes, il existe un fort potentiel d’intégration industrielle : une entreprise privée tunisienne, SOCOMENIN44 – qui était à l’origine spécialisée dans la construction métallique – produit des tours d’éoliennes, et l’industrie locale est également capable de fabriquer des composants de turbines dans les secteurs industriels de la mécanique, de l’électricité et de l’électronique, y compris en adaptant la ligne de production le cas échéant. En outre, les activités connexes de logistique, de transport, de construction, d’exploitation et de maintenance peuvent toutes être réalisées par des entreprises nationales. Or, malgré ces avantages, le secteur manufacturier tunisien des énergies renouvelables reste incapable de soutenir le développement de grands projets. La Tunisie manque de certaines matières premières et technologies intermédiaires qui sont essentielles au développement de tels projets. Il s’agit notamment de la silice, des cellules photovoltaïques, des fils électriques, des alternateurs pour les éoliennes et des contrôleurs d’éoliennes45. Les équipements et les technologies intermédiaires qui ne sont pas produits localement doivent être importés, ce qui entraîne une dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers. En réalité, ce secteur s’est jusqu’à présent surtout développé grâce aux programmes d’installation de systèmes photovoltaïques résidentiels et 90 % des entreprises tunisiennes du secteur des énergies renouvelables travaillent dans le sous-secteur photovoltaïque. Par conséquent, le marché est surtout développé dans le domaine de l’installation photovoltaïque. Selon les résultats préliminaires d’une enquête de la GIZ en 2019, sur les 150 entreprises du secteur, plus de 85% étaient des installateurs, un tiers étaient des fournisseurs de composants photovoltaïques, 20 étaient des bureaux d’études, tandis qu’il n’y avait que deux développeurs de projets, deux fabricants de panneaux photovoltaïques et un bureau de formation. De même, si l’on examine les appels à propositions et les appels d’offres liés aux autorisations et concessions en matière d’énergies renouvelables pour la période 2017 à 2019, on constate que les sociétés de développement n’en étaient alors qu’à leurs débuts46.

Par ailleurs, malgré l’existence de certains acteurs nationaux, la volonté de la Tunisie d’attirer les investisseurs étrangers tend à exclure les entreprises locales et les développeurs tunisiens : à titre d’exemple, le gouvernement donne la priorité aux entreprises étrangères ayant déjà développé des projets de même envergure avec la même technologie47.  La sélection des projets est ainsi basée sur l’expérience préalable du développeur ou de ses sous-traitants, ainsi que sur la cohérence et la faisabilité du projet, ce qui privilégie de facto les investisseurs étrangers issus de pays à la pointe du développement de projets d’énergies renouvelables et disposant de moyens financiers plus importants.48

Dans le cadre du régime d’autorisation (projets de 10MW), sur les 22 projets qui ont bénéficié d’un accord de principe à l’issue des trois appels d’offres lancés entre 2017 et 2019, seule la moitié a des porteurs de projets tunisiens et seuls quatre projets sont exclusivement portés par des entreprises tunisiennes. En comparaison, cinq projets concernent exclusivement des entreprises françaises et trois des entreprises allemandes.49

Quant aux concessions pour la production d’énergie solaire, les cinq projets (pour un total de 500MW) sont attribués à des entreprises étrangères. La société norvégienne SCATEC Solar a remporté des appels d’offres pour trois projets, pour un total de 300MW.50

Nombre de projects obtenus par les entreprises selon a nationalité lors des appels d'offres entre 2017 et 2019 sous le régime de la concession

Puissance (MW) de la somme des projects obtenus (autorisation) par les entreprises regroupées par nationalité

Puissance (MW) des projects de production d'électricité obtenus (concession) par les entreprises en fonction de leur nationalité

Ainsi, si le secteur des énergies renouvelables mené par la Tunisie dispose de certains atouts en matière de développement de projets locaux, il reste trop faible pour mener à bien les projets de grande envergure attendus dans le contexte actuel. Ainsi, pour réduire sa dépendance, la Tunisie serait bien inspirée de promouvoir des projets de petite taille à l’échelle des ménages ou des communautés, plus adaptés à l’expertise locale et moins intensifs en termes de capitaux et de connaissances.

b) Les défis qui se posent à la promotion du développement local et à la réduction des inégalités régionales

Afin de garantir un développement des énergies renouvelables en Tunisie bénéfique pour l’économie locale, la loi de 2015 a été suivie de plusieurs autres lois et décrets. Il s’agit notamment de lois visant à créer un cadre incitatif pour les investissements dans les énergies renouvelables. La loi 2016-71 du 30 septembre 2016 relative aux investissements dans le domaine des énergies renouvelables, et le décret gouvernemental subséquent n°2017-389 du 9 mars 2017 relatif aux incitations financières, encouragent le développement régional ciblé et la création d’emplois locaux par le biais de projets d’énergies renouvelables. Ils créent également des avantages fiscaux pour encourager les entreprises à investir dans les régions marginalisées51 et à réinvestir une partie de leurs bénéfices.52

Or, plusieurs développeurs et investisseurs ont rencontré des difficultés pour trouver des financements et ont signalé des obstacles réglementaires et bureaucratiques à leur participation aux appels d’offres (également liés à la pluralité des institutions concernées).53

Les incitations fiscales et financières visent à apporter le développement aux régions marginalisées, où se trouvent la plupart des projets d’énergie renouvelable54. Cependant, le développement effectif de ces régions ciblées doit être évalué, en tenant compte notamment du risque de dépossession des communautés. En effet, en analysant la liste des entreprises éligibles pour l’installation de panneaux solaires dans le cadre du projet Prosol Elec55 (à des fins d’autoproduction), on constate que les entreprises basées dans des régions plus développées se distinguent. Sur 380 entreprises tunisiennes, seules 40 sont basées dans les régions ciblées (Jendouba, Beja, Kasserine, Gafsa, Tozeur, Kebili, Tataouine, Gabes, Kairouan, Sidi Bouzid, Kef), tandis que la plupart sont basées dans les régions de Tunis et de Sfax56.  Cela signifie que les régions les plus développées récoltent la plupart des bénéfices du développement de ce secteur en accumulant plus de profits et en générant plus d’emplois, au détriment d’autres régions qui en ont le plus besoin.

Pour faire une estimation précise de la création d’emplois, il faut prendre en compte les emplois directs et indirects. Dans le cas des projets d’énergie renouvelable, les emplois directs couvrent les activités des domaines de la production d’énergie, de l’installation et de la construction, et de la maintenance, tandis que les emplois indirects comprennent la vente, l’ingénierie et la recherche, la formation, etc. La prévision de création d’emplois dans le domaine des énergies renouvelables est d’environ 3 000 emplois par 1000MW produits annuellement avec l’énergie solaire photovoltaïque. On estime que le nombre d’emplois supplémentaires pour l’ensemble du secteur des énergies renouvelables en Tunisie se situe entre 7000 et 20 00057.  Toutefois, la majorité de ces emplois ne sont pas durables, la plupart d’entre eux n’étant nécessaire que pour la phase de construction et de démarrage des projets qui ne dure que quelques années (une moyenne de cinq emplois temporaires pour 1 MW d’énergies renouvelables est estimée dans cette phase), tandis que la maintenance des projets ne nécessite ensuite que très peu d’employés (une moyenne qui tombe à deux emplois durables pour 1 MW d’énergie renouvelable, principalement dans le domaine de la maintenance)58.

Par conséquent, les projets d’énergie photovoltaïque et éolienne à grande échelle ne sont probablement pas les mieux adaptés pour offrir de nombreuses possibilités d’emploi à long terme. En outre, le développement de la création d’emplois doit être soutenu par la stimulation de toutes les branches du secteur. À cet égard, la production locale des technologies requises pour les projets d’énergie renouvelable offrirait un fort potentiel de création de nouveaux emplois, car une faible dépendance à l’égard des importations implique davantage d’emplois59.

Par conséquent, malgré l’accent mis officiellement sur les régions marginalisées et la création d’emplois locaux, le risque existe que le cadre actuel finisse par s’approprier des terres dans les zones les moins développées afin d’y exploiter les ressources renouvelables, sans compensation appropriée pour les communautés locales, entretenant ainsi une dynamique coloniale interne60.

c) Droits sociaux et environnementaux des communautés locales : les nouvelles préoccupations à la lumière de la mobilisation du village de Borj Salhi

Dans la vision stratégique du secteur de l’énergie adoptée par le gouvernement en 2018, l’équité dans la distribution de l’énergie et la bonne gouvernance sont officiellement promues, à travers : la garantie d’un accès équitable à l’énergie dans chaque région, dans les meilleures conditions, le développement d’une politique de responsabilité sociale, la création d’une autorité de régulation et la mise en place d’un processus plus transparent.61

De plus, selon la loi 2015-12, la première étape requise pour un projet de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables dans le cadre du régime d’autorisation, est la réalisation d’une étude de faisabilité. Cette étude doit comprendre une évaluation des impacts environnementaux et sociaux, qui doit être réalisée par un bureau d’études et comprendre au moins une description de base de l’état initial du site, la caractérisation du site et une description des zones voisines, une estimation de l’impact futur du projet sur la flore et la faune locales, et une estimation des impacts visuel et acoustique.62

Cependant, malgré ce cadre, les mesures sociales et environnementales ne semblent pas toujours respectées. En 2000, le premier projet d’éoliennes en Tunisie a été mis en place à environ 70 kilomètres de Tunis, dans le nord-est du pays, et a été suivi ensuite d’autres phases d’installation en 2003 et 2009. Cette centrale d’énergie renouvelable, qui comprend environ 40 éoliennes, fournit de l’électricité à 50 000 habitant∙e∙s. Pourtant, à Borj Salhi, le village dans lequel l’extension de 2009 a été mise en œuvre, les habitant∙e∙s ne bénéficient toujours pas d’un raccordement au réseau à haute tension ni d’un accès aux compteurs électriques de la STEG, et leur réseau détérioré subit de fréquentes coupures. Depuis plus de dix ans, la communauté villageoise voisine dénonce ainsi  ce projet de centrale électrique, propriété de la STEG. L’extension de 2009 a provoqué une mobilisation sociale des habitant∙e∙s des villages voisins de la centrale. La proximité des éoliennes est l’une des premières raisons de leur mécontentement : l’éolienne la plus proche est située à moins de 50 mètres d’habitations et le bruit permanent affecte à la fois les habitant∙e∙s et les animaux.  En ce qui concerne l’impact environnemental, les modifications du paysage ont entraîné une érosion du sol et un dépérissement des oliviers. Les villageois déplorent également le manque d’entretien des éoliennes par la STEG, qui entraîne des accidents techniques.

Au cœur du mécontentement se trouve l’absence de participation de la population aux décisions, alors que cette participation aurait permis de garantir l’appropriation du projet par la population locale et de prendre en considération les répercussions sur elle et sur les terres. Après la dernière réunion de négociation entre les villageois et la STEG en mars 2021, cette dernière s’est déclarée « prête à assumer pleinement [ses] responsabilités et à mettre fin à ce conflit qui dure depuis dix ans ». Cela dit, le dossier reste ouvert puisque la STEG n’a entrepris aucune autre action depuis lors.63

L’exemple du village de Borj Salhi montre que la sensibilisation du public, la participation et les droits des communautés locales, ainsi que la durabilité environnementale, ne sont toujours pas assurés face à d’autres intérêts. Dans les projets futurs, les impacts sur les droits sociaux et environnementaux des communautés locales devraient être étroitement surveillés, tant sur le papier que dans la pratique.

Illustration by Othman Selmi

Conclusion

Cet aperçu des développements dans le secteur du développement des énergies renouvelables en Tunisie met en évidence plusieurs incompatibilités avec un modèle de transition juste. Tout d’abord, nous identifions des limites en termes de prise de décision démocratique, en raison de l’influence d’acteurs non nationaux et d’un manque de consultation des autres parties prenantes (comme l’UGTT ou les communautés locales). Cela a conduit à l’adoption de la loi de 2015, qui encourage la privatisation, y compris sous la forme de PPP, inscrivant fermement la Tunisie dans le schéma néolibéral mondial en matière de développement des énergies renouvelables. Cela a ouvert la porte à des initiatives néocoloniales, telles que Desertec et Tunur, qui entravent à la fois le contrôle du gouvernement sur les projets d’énergie renouvelable et, par extension, la souveraineté des Tunisien∙ne∙s sur leurs propres ressources. De plus, la voie choisie renforce la dépendance tant financière qu’en matière de connaissances vis-à-vis d’acteurs étrangers par le biais d’investissements directs étrangers et d’importation de technologies, au lieu de pousser la Tunisie à investir dans la souveraineté énergétique par le développement local du secteur des énergies renouvelables. Cela signifie que la stratégie à court terme adoptée par les gouvernements successifs au cours de la dernière décennie, en choisissant d’investir dans les PPP plutôt que dans les services publics, vise davantage à attirer les investisseurs privés (et surtout étrangers) et à garantir leurs profits – malgré la charge financière à long terme que cela pourrait induire – qu’à favoriser le développement local. En conséquence, les droits des communautés sont négligés, avec des effets allant d’un accès insuffisant à l’électricité à la dépossession des terres, en particulier pour les personnes vivant dans des régions déjà marginalisées.

Ce cadre continue de favoriser les acteurs des régions relativement privilégiées, tandis que les zones appauvries sont encore plus marginalisées et dépossédées de leurs ressources. Il semble que, une fois de plus, la plupart des dynamiques soient axées sur le profit et le court terme, ce qui explique également pourquoi les dispositions relatives à la protection de l’environnement naturel sont insuffisantes.

La priorité étant accordée à la réalisation de grands projets à tout prix, les besoins des populations locales et de l’environnement sont insuffisamment pris en compte, et les conditions requises pour leur intégration économique dans l’économie nationale ne sont pas garanties. Malgré le manque d’accessibilité de l’information et l’insuffisance du travail d’enquête et de terrain (qui pourrait permettre de mieux savoir qui possède quoi, qui fait quoi, qui y perd et qui y gagne), plusieurs cas – comme celui de Borj Salhi – révèlent néanmoins de profondes lacunes dans le cadre actuel, et suggèrent qu’il pourrait y avoir de nombreux autres exemples similaires qui n’ont pas encore attiré l’attention du public.

Sur base de notre analyse de l’expertise locale en Tunisie, une transition juste donnerait aux ménages et aux communautés les moyens de produire leur propre électricité grâce à des projets photovoltaïques à petite échelle, ce qui réduirait les besoins en capital et en connaissances et favoriserait le développement d’acteurs locaux générateurs d’emplois. Dans le monde entier, de nombreux acteurs de la société civile ont entrepris une phase de remunicipalisation – à savoir, la récupération de la propriété publique des services – afin de mettre en place des services publics « dirigés par la communauté et soucieux du climat », en reprenant le contrôle des ressources locales. La privatisation doit donc être évitée en premier lieu.  Les gouvernements locaux pourraient promouvoir l’installation de systèmes photovoltaïques à petite échelle par des entreprises locales afin de rompre avec le renforcement actuel des inégalités régionales. La gestion de ces projets au niveau local permettrait que les communautés se les approprient davantage et leur confèrerait plus de droits et de pouvoirs quant au contrôle et à la supervision des moyens de production dans le secteur de l’énergie.