Le Moyen-Orient est devenu d’autant plus important pour le pouvoir américain après la nationalisation des réserves de pétrole brut un peu partout dans la région - et ailleurs - au cours des années 1970 et 1980. La nationalisation a mis fin au contrôle occidental historique direct sur les approvisionnements en pétrole brut au Moyen-Orient, bien que les entreprises américaines et européennes aient continué à contrôler la majeure partie du raffinage, du transport et de la vente de ce pétrole à l'échelle mondiale. Dans ce contexte, les intérêts américains dans la région consistaient à garantir un approvisionnement stable du marché mondial en pétrole - libellé en dollars américains - et à s'assurer que le pétrole ne serait pas utilisé comme une « arme » pour déstabiliser un système mondial centré sur les États-Unis. En outre, les producteurs de pétrole du Golfe ayant commencé à gagner des billions de dollars grâce à l'exportation de pétrole brut, les États-Unis étaient très préoccupés par la manière dont ces « pétrodollars » circulaient dans le système financier mondial, avec une incidence directe sur la prédominance du dollar américain.
Dans la poursuite de ses intérêts, la stratégie américaine s'est entièrement consacrée à maintenir en place les monarchies du Golfe, dirigées par l'Arabie saoudite, car elles s’avéraient être des alliées régionales indispensables, particulièrement après le renversement de la monarchie iranienne des Pahlavi en 1979, qui constituait un autre pilier des intérêts américains dans le Golfe depuis le coup d'État de 1953. Le soutien des États-Unis aux monarques du Golfe s'est manifesté de diverses manières, notamment par la vente d’énormes quantités de matériel militaire, qui a fait de la région du Golfe le plus grand marché d'armes au monde, ainsi que par des mesures économiques qui ont canalisé l’afflux des pétrodollars du Golfe vers les marchés financiers américains, et par une présence militaire américaine permanente, laquelle continue d’être le meilleur garant du pouvoir monarchique. La guerre Iran-Irak, qui a duré de 1980 à 1988 et qui est considérée comme l'un des conflits les plus destructeurs du 20ᵉ siècle (près d'un demi-million de morts), a marqué un tournant dans les relations entre les États-Unis et les pays du Golfe. Pendant cette guerre, les États-Unis ont fourni des armes, des fonds et des renseignements aux deux parties, considérant qu'il s'agissait d'un moyen d'affaiblir la puissance de ces deux grands pays voisins et d'assurer la sécurité des monarques du Golfe.
C'est ainsi que la puissance américaine au Moyen-Orient a fini par reposer sur deux piliers essentiels : Israël d'une part, les monarchies du Golfe de l’autre. Ces deux piliers restent aujourd'hui la clé de voûte de la puissance américaine dans la région ; toutefois, la manière dont ils sont liés l’un à l’autre a sensiblement évolué. Depuis les années 1990 et jusqu'à aujourd'hui, le gouvernement américain a cherché à réunir ces deux pôles stratégiques - ainsi que d'autres États arabes importants, tels que la Jordanie et l'Égypte - au sein d'une sphère unique liée à la puissance économique et politique des États-Unis. Pour y parvenir, il fallait intégrer Israël au Moyen-Orient élargi en normalisant ses relations économiques, politiques et diplomatiques avec les États arabes. Plus important encore, il s’agissait d’en finir avec les boycotts arabes officiels d'Israël qui ont perduré pendant des décennies.
Du point de vue d'Israël, la normalisation ne consistait pas simplement à permettre le développement du commerce avec les États arabes et les investissements dans les économies de ces derniers. Après une récession majeure au milieu des années 1980, l'économie israélienne s'est détournée de secteurs tels que la construction et l'agriculture pour mettre davantage l'accent sur la haute technologie, la finance et les exportations militaires. Toutefois, de nombreuses grandes entreprises internationales hésitaient à faire des affaires avec des entreprises israéliennes (ou en Israël même) en raison des « boycotts secondaires » imposés par les gouvernements arabes.4 Mettre fin à ces boycotts était essentiel pour attirer les grandes entreprises occidentales en Israël, et pour permettre aux sociétés israéliennes d'accéder aux marchés étrangers aux États-Unis et ailleurs. En d'autres termes, la normalisation économique visait tout autant à garantir la place du capitalisme israélien dans l'économie mondiale qu'à permettre à Israël d'accéder aux marchés du Moyen-Orient.
À cette fin, les États-Unis et leurs alliés européens ont eu recours, à partir des années 1990, à divers mécanismes visant à favoriser l'intégration économique d'Israël dans le Moyen-Orient élargi. L'un de ces mécanismes a été l'intensification des réformes économiques, à savoir une ouverture aux investissements étrangers et aux flux commerciaux qui se sont rapidement déployés dans la région. Dans ce contexte, les États-Unis ont proposé une série de mesures économiques visant à connecter les marchés israéliens et arabes les uns aux autres, puis à l'économie américaine. L'un des principaux projets concernait les « Qualifying Industrial Zones » (QIZ), des zones franches de production à bas salaires créées en Jordanie et en Égypte à la fin des années 1990. Les marchandises produites dans les QIZ (principalement des textiles et des vêtements) bénéficiaient d'un accès en franchise de droits aux États-Unis, à condition qu'une certaine proportion des intrants pour leur fabrication provienne d'Israël. Les QIZ ont joué un rôle précoce et décisif en rassemblant des capitaux israéliens, jordaniens et égyptiens dans des structures de propriété conjointe, normalisant ainsi les relations économiques entre deux des États arabes voisins d'Israël. En 2007, le gouvernement américain signalait que plus de 70 % des exportations jordaniennes vers les États-Unis provenaient des QIZ ; pour l'Égypte, 30 % des exportations vers les États-Unis étaient produites dans les QIZ en 2008.5
Conjointement au programme des QIZ, les États-Unis ont également proposé le projet de zone de libre-échange du Moyen-Orient (Middle East Free Trade Area - MEFTA) en 2003. La MEFTA visait à établir une zone de libre-échange couvrant l'ensemble de la région d'ici 2013. La stratégie américaine consistait à négocier individuellement avec des pays « amis » en suivant un processus graduel en six étapes, qui devait aboutir à un véritable accord de libre-échange (ALE) entre les États-Unis et le pays en question. Ces accords ont été conçus de manière à ce que les pays puissent associer leurs propres accords bilatéraux de libre-échange avec les États-Unis aux accords bilatéraux signés avec d’autres pays, établissant ainsi des accords au niveau sous-régional dans l'ensemble du Moyen-Orient. Ces accords sous-régionaux pourraient être rattachés au fil du temps, jusqu'à ce qu'ils couvrent l'ensemble de la région. Il est important de noter que ces accords de libre-échange seraient également utilisés pour encourager l'intégration d'Israël dans les marchés arabes, chaque accord contenant une clause engageant le signataire à normaliser ses relations avec Israël et interdisant tout boycott des relations commerciales. Bien que les États-Unis n'aient pas atteint l'objectif qu'ils s'étaient fixé en 2013 pour la mise en place du MEFTA, cette politique a permis d'étendre l'influence économique américaine dans la région, grâce à la normalisation entre Israël et les principaux États arabes. Il est frappant de constater qu'aujourd'hui, les États-Unis ont conclu 14 accords de libre-échange avec des pays du monde entier, dont cinq avec des États du Moyen-Orient (Israël, Bahreïn, Maroc, Jordanie et Oman).