COP21 : la responsabilité des armées dans le changement climatique, un secret de Polichinelle

Le dernier document présenté fin novembre à Paris aux négociations onusiennes pour le climat, est très bavard : exactement 32 731 mots. Et pourtant un mot n’y apparaît pas : celui de  « dépenses militaires ». Bien troublant, lorsque l’on songe que l’armée des USA est à elle seule le premier consommateur de pétrole au monde et exerce depuis des décennies le principal contrôle sur l’économie pétrolière mondiale.

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Comment les dépenses militaires ont-elles disparu du calcul des émissions de CO2 ? C’est une histoire qui remonte à la COP 11 de Kyoto (1997). Sous la pression des généraux et des faucons de l’administration US qui s’opposaient à une éventuelle réduction de la puissance militaire des USA, l’équipe de négociateurs US obtint d’exempter les armées de l’obligation de réduire les émissions de gaz nocives pour le climat.

Bien sûr les USA n’ont ensuite pas ratifié le Protocole de Kyoto, mais les exemptions dont bénéficiaient les forces armées restèrent en vigueur pour les États signataires. Aujourd’hui encore, les quantités de carburant achetées et utilisées à l’étranger par les armées ne figurent pas dans les données d’émissions que chaque pays doit soumettre à l’ONU.

C’est pourquoi il est toujours difficile de calculer la part des armées dans les émissions de gaz à effet de serre. D’après un rapport du Congrès des USA datant de 2012, le Ministère de la Défense a consommé 117 millions de barils en 2011 - presque autant que la totalité des voitures à essence et diesel de Grande-Bretagne cette année-là.

La répartition de ce pétrole entre Hummer militaires, gourmands en essence, jets et drones pose  aux stratèges de l’OTAN un problème sans cesse croissant. 

Mais la responsabilité des armées dans la crise climatique excède largement leur propre consommation en énergies fossiles. Comme on l’a vu en Irak, les firmes d’armement et leurs puissants protecteurs du monde politique utilisent de plus en plus (et de manière agressive) la force armée pour sécuriser les sources d’énergie. Les armées ne sont pas seulement un énorme consommateur de pétrole, mais aussi l’un des piliers principaux de l’économie mondiale des énergies fossiles.

Que ce soit au Moyen-Orient, dans la région du Golfe ou dans le Pacifique, les interventions militaires, à l’heure actuelle, tournent constamment autour du contrôle des régions pétrolières et des principales voies maritimes, par lesquelles transite la moitié du pétrole produit dans le monde, qui permet le fonctionnement de notre société de consommation.

La montée des conflits au niveau mondial entraîne une augmentation croissante des budgets militaires. En 2014 les dépenses armées mondiales ont atteint 1,8 billion de dollars US. Ce montant constitue un gaspillage gigantesque de deniers publics, qui pourraient être investis dans les énergies renouvelables et le soutien aux populations les plus durement touchées par le changement climatique. En consacrant 2014 25 milliards de livres par an au Ministère de la défense et seulement 1,5 milliard au Ministère de l’énergie et du changement climatique, le gouvernement britannique a clairement montré où se trouvaient ses priorités.

En dépit de leur rôle dans le changement climatique, les militaires ne craignent pas de réclamer à grands cris une action à son encontre. Samuel Locklear III, ancien commandant du Commandement US dans le Pacifique (jusqu’au 21 mai 2015, Note de Tlaxcala), est typique d’un chœur de généraux sans cesse plus nombreux à avoir identifié le changement climatique comme la première menace pour la sécurité en ce siècle.

Ces voix trouvent un large écho dans le monde politique. Le Premier ministre David Cameron a exposé que « le changement climatique constitue l’une des premières menaces pour la sécurité de notre monde. Car il ne menace pas seulement l’environnement, mais aussi notre sécurité nationale et la sécurité mondiale... »

On pourrait y voir une évolution bienvenue. Qui n’aimerait avoir de grandes puissances à ses côtés pour lutter contre le principal problème de l’humanité? Mais il y a de bonnes raisons de se méfier de ceux qui soudain nous soutiennent.

Si l’on regarde de plus près les stratégies militaires contre le changement climatique, on s’aperçoit qu’elle consistent uniquement à sécuriser des frontières, protéger les voies d’approvisionnement des entreprises, contrôler les conflits pour l’accès aux ressources et l’instabilité qu’entraînent les catastrophes climatiques et réprimer les troubles sociaux.

Les victimes du changement climatique sont ainsi travesties en « menaces » qu’il s’agit de contrôler et de combattre. On n’interroge donc nullement le véritable rôle des forces armées dans l’imposition d’un capitalisme multinational et d’une énergie fondée sur les carburants fossiles.

Effectivement il y a des preuves que nombre d’acteurs, dans l’industrie de la sécurité et de l’armement, ne considèrent pas le changement climatique seulement comme une menace, mais aussi comme une bonne occasion. Conflits et insécurité font prospérer ces deux industries, et le changement climatique, s’ajoutant à la guerre permanente contre le terrorisme, promet un nouveau boom financier.

Le géant britannique de l’armement, BAE Systems, l’a écrit avec une étonnante franchise dans l’un de ses rapports annuels : « De nouvelles menaces et zones de conflit représentent des exigences inouïes pour les forces armées et constituent pour BAE Systems de nouveaux défis et opportunités. » Energy Environmental Defence and Security (E2DS) a annoncé triomphalement que «  les secteurs de l’aviation, de la Défense et de la sécurité se préparent au plus important des nouveaux marchés vu que les affaires dans la protection des personnes et des États montent en flèche depuis presque dix ans. »

L’une des principales leçons que le mouvement en faveur du climat a tirées de ces dernières années, c’est que se contenter de faire pression sur les politiques afin qu’ils prennent les bonnes mesures n’amène aucun changement effectif. Il nous faut plutôt cibler les firmes qui s’opposent à tout changement, les délégitimer et les affaiblir.

Face aux conséquences de plus en plus graves du changement climatique, il nous faut accentuer nos campagnes, justement pour empêcher ces forces de profiter aussi de ses retombées. Il est plus que temps, pendant que les médias internationaux sont focalisés sur les négociations de la COP à Paris, de mettre sur la table le problème des forces armées et d’exiger que l’adaptation au changement climatique soit guidée par les principes des droits humains et de la solidarité, et non ceux des militaires et du profit des entreprises.

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