Introduction à la sécurité climatique The dangers of militarising the climate crisis

Fecha de publicación:

Comme l’explique ce document, le fait de présenter la crise climatique comme un problème sécuritaire est extrêmement hasardeux car cela vient renforcer une approche militarisée du changement climatique qui va certainement creuser les injustices à l’égard des personnes les plus touchées par la crise actuelle. Le danger des solutions sécuritaires, est que par définition, elles cherchent à sécuriser ce qui existe, c’est-à-dire un statu quo injuste.

Cover image

Sobre introduction à la sécurité climatique

Tipo de publicación
Primer

Autores

Autores

 

1. Qu’est-ce que la sécurité climatique ?

La sécurité climatique est un cadre politique et stratégique qui analyse l'impact du changement climatique sur la sécurité. Elle anticipe les perturbations que les événements météorologiques extrêmes et l’instabilité climatique dus à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre provoqueront sur les systèmes économiques, sociaux et environnementaux et qui, par conséquent, compromettront la sécurité. Les questions qui se posent sont les suivantes : qui est concerné par ces problèmes de sécurité et de quel type de sécurité s’agit-il ?

La quête et la demande dominantes de « sécurité climatique » émanent essentiellement d’un puissant appareil de sécurité nationale et de forces armées, en particulier celui des pays les plus riches. Cela signifie que la sécurité est perçue comme une « menace » pour leurs opérations militaires et leur « sécurité nationale », un terme global qui, foncièrement, désigne la puissance économique et politique d'un pays.

Dans ce contexte, la sécurité climatique examine les menaces directes perçues pour la sécurité d'un pays, tel que l'impact sur les opérations militaires. Par exemple, la montée du niveau de la mer a un impact sur les bases militaires et la chaleur extrême entrave des opérations militaires. Elle analyse également les menaces indirectes, c’est-à-dire les façons dont le changement climatique pourrait exacerber les tensions, les conflits et la violence existants qui risqueraient de se répercuter sur d'autres pays ou de les submerger. Cela inclut l’émergence de nouveaux théâtres de guerre, tels que l'Arctique où la fonte des glace fait apparaître de nouvelles ressources minérales et une concurrence entre les grandes puissances pour les contrôler. Le changement climatique est défini comme un « multiplicateur de menaces » ou un « déclencheur de conflit ». Les discours sur la sécurité climatique prévoient « une ère de conflits persistants [...], un contexte sécuritaire bien plus ambigu et imprévisible que celui de la guerre froide », pour reprendre les termes d'une stratégie du ministère américain de la Défense.

La sécurité climatique a été progressivement intégrée aux stratégies de sécurité nationale, et a été adoptée plus largement par des organisations internationales telles que les Nations unies et ses agences spécialisées, ainsi que la société civile, le monde universitaire et les médias. Rien qu’en 2021, le président Biden a déclaré que le changement climatique était une priorité de sécurité nationale, l’OTAN a élaboré un plan d'action sur le climat et la sécurité, le Royaume-Uni a déclaré qu’il entamait une transition vers un système de « défense prête à faire face aux changements climatiques », le Conseil de sécurité des Nations Unies a tenu un débat de haut niveau sur le climat et la sécurité, et la sécurité climatique devrait être un point majeur à l'ordre du jour de la conférence COP26 en novembre.

Comme l’explique ce document, le fait de présenter la crise climatique comme un problème sécuritaire est extrêmement hasardeux car cela vient renforcer une approche militarisée du changement climatique qui va certainement creuser les injustices à l’égard des personnes les plus touchées par la crise actuelle. Le danger des solutions sécuritaires, est que par définition, elles cherchent à sécuriser ce qui existe, c’est-à-dire un statu quo injuste. Une réponse sécuritaire considère comme une « menace » toute personne qui serait susceptible de perturber le statu quo, tels que les réfugiés, ou qui s’y oppose purement et simplement, comme, par exemple, les militants pour la lutte contre le changement climatique. Elle exclut également toute autre solution collaborative à l'instabilité. La justice climatique, en revanche, exige que nous renversions et transformions les systèmes économiques qui ont entraîné le changement climatique, en donnant la priorité aux communautés qui se trouvent en première ligne de la crise et en faisant valoir leurs solutions en premier.

2. Comment la sécurité climatique est-elle devenue une priorité politique ?

La sécurité climatique est issue d'une longue expérience de discours sur la sécurité environnementale dans les milieux universitaires et politiques qui, depuis les années 1970 et 1980, examinent les liens qui existent entre environnement et conflit et ont parfois fait pression sur les décideurs pour qu'ils intègrent les préoccupations environnementales dans les stratégies sécuritaires.

La sécurité climatique a fait son entrée dans l’arène politique (et la sécurité nationale) en 2003, avec une étude commandée par le Pentagone et menée par Peter Schwartz, un ancien planificateur auprès de Royal Dutch Shell, et Doug Randall de la société de conseil californienne Global Business Network. Ils avaient prévenu que le changement climatique pouvait mener à un nouvel âge des ténèbres : « Comme la famine, les maladies et les catastrophes climatiques frapperont le monde en raison du changement climatique brutal, les besoins de nombreux pays dépasseront leur capacité. Cela suscitera le désespoir, qui entraînera probablement des offensives agressives afin de rétablir l’équilibre... Le désordre et le conflit seront les caractéristiques endémiques de la vie ». La même année, dans des termes plus mesurés, la Stratégie européenne de sécurité de l’Union européenne (UE) a désigné le changement climatique comme un problème de sécurité.

Depuis, la sécurité climatique a été progressivement intégrée dans la planification de la défense, les analyses de renseignement et les plans opérationnels militaires d’un nombre de plus en plus important de pays riches, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, le Canada, l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande et la Suède, ainsi que l’UE. Elle diffère des plans d’action sur le climat de chaque pays, axés sur des questions de sécurité militaires et nationales.

Le fait que les entités militaires et de sécurité nationale se concentrent sur le changement climatique montre qu'elles sont convaincues que n’importe quel planificateur rationnel voit que la situation empire et qu’elle affectera leur secteur. L'armée est l'une des rares institutions à s’engager dans la planification à long terme afin de garantir sa capacité permanente à s’engager dans les conflits et d’être préparée pour les situations changeantes dans lesquelles elle s’implique. Elle est également disposée à examiner les scénarios les plus pessimistes, contrairement aux planificateurs sociaux, ce qui peut être un avantage sur la question du changement climatique.

Le Secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, a résumé le consensus militaire américain sur le changement climatique en 2021 : « Nous faisons face à une crise climatique sérieuse et croissante qui menace nos missions, nos plans et nos capacités. Entre la concurrence de plus en plus grande dans l’Arctique et les migrations de masse en Afrique et en Amérique centrale, le changement climatique contribue à l'instabilité et nous pousse vers de nouvelles missions ».

En effet, le changement climatique affecte déjà directement les forces armées. Un rapport de 2018 du Pentagone a révélé que la moitié des 3 500 sites militaires subissaient les conséquences de six catégories clés de phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les grosses tempêtes, les incendies et les sécheresses.

Cette expérience des impacts du changement climatique et leur cycle de planification à long terme ont coupé les forces de sécurité nationale d’un grand nombre de débats idéologiques et du mouvement de dénégation concernant le changement climatique. Sous la présidence de Trump, les militaires ont poursuivi leurs plans de sécurité climatique tout en minimisant leur importance en public, pour éviter de s'attirer les foudres des négationnistes.

L'importance accordée à la sécurité nationale concernant le changement climatique est également motivée par leur détermination à contrôler davantage l’ensemble des risques et menaces potentiels, ce qui signifie qu’ils visent à intégrer tous les aspects de la sécurité nationale pour y parvenir. Cela a entraîné l'augmentation du financement de chaque bras coercitif de l’État pour plusieurs décennies. Paul Rogers, professeur émérite d'études de la paix à l'Université de Bradford, appelle la stratégie cette « liddism » (que l'on peut traduire par « couverclisme », attitude consistant à refermer un problème en lui posant un couvercle mal adapté qui le couvre entièrement), une stratégie « à la fois invasive et cumulative impliquant un effort considérable pour développer de nouvelles tactiques et technologies qui peuvent éviter les problèmes et les supprimer ». Cette tendance s’est accélérée depuis le 11/09 et, avec l’émergence des technologies algorithmiques, a incité les organismes de sécurité nationale à chercher à surveiller, anticiper et si possible contrôler toutes les éventualités.

Tandis que les organismes de sécurité nationale mènent les discussions et définissent le programme de la sécurité climatique, de plus en plus d'organisations non militaires et de la société civile prônent une plus grande attention apportée à la sécurité climatique. Celles-ci incluent des groupes de réflexion sur la politique étrangère tels que la Brookings Institution et le Council on Foreign Relations (États-Unis), l’International Institute for Strategic Studies et le Chatham House (Royaume-Uni), l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, le Clingendael Institute (Pays-Bas), l’Institut des affaires internationales et stratégiques de Paris, Adelphi (Allemagne) et l’Australian Strategic Policy Institute. L'un des plus grands défenseurs de la sécurité climatique dans le monde est le Center for Climate and Security (CCS), basé aux États-Unis, un institut de recherche qui entretient des liens étroits avec le secteur militaire et de la sécurité ainsi que le parti démocratique. Plusieurs de ces instituts se sont associés avec des personnalités militaires de haut rang pour former l’International Military Council on Climate and Security en 2019.

 

Encadré 1 : Chronologie des principales stratégies de sécurité climatique

3. Comment les organismes de sécurité nationale se préparent-ils et s’adaptent-ils au changement climatique ?

Les organismes de sécurité nationale, notamment les services militaires et de renseignement, des nations riches industrialisées se préparent au changement climatique de deux façons : en effectuant des recherches et en prévoyant des scénarios de risques et de menaces futurs basés sur différentes situations d'augmentation de la température, et en mettant en œuvre des plans d'adaptation militaire au changement climatique. Les États-Unis donnent le ton pour la planification de la sécurité climatique, du fait de leur taille et de leur domination (les dépenses des États-Unis pour la défense sont supérieures à celles des dix pays suivants réunis).

1. Recherches et prévisions de scénarios futurs

Tous les organismes de sécurité concernés, notamment l'armée et le renseignement, sont impliqués pour analyser les impacts existants et attendus sur les capacités militaires d'un pays, son infrastructure et son contexte géopolitique. Vers la fin de son mandat en 2016, le président Obama est allé plus loin en demandant à l’ensemble de ses ministères et organismes de « veiller à ce que les impacts liés au changement climatique soient considérés dans leur intégralité dans le développement de doctrines, politiques et plans de sécurité nationale ». En d'autres termes, il a mis le cadre de la sécurité nationale au centre de l’ensemble de sa planification liée au changement climatique. Le gouvernement Trump avait abandonné ces mesures mais Biden a repris les dossiers là où Obama les avait laissés, demandant au Pentagone de collaborer avec le ministère du Commerce, l’Administration des espaces océaniques et atmosphériques (NOAA), l'Agence pour la protection de l'environnement (EPA), le directeur national du renseignement, le Bureau de la politique scientifique et technologique et d'autres organismes pour développer une analyse du risque lié au climat.

Différents outils de planification sont utilisés, mais pour la planification à long terme, l’armée utilise depuis longtemps les scénarios pour évaluer les avenirs possibles puis déterminer si le pays dispose des capacités nécessaires pour répondre aux différentes niveaux de menace potentielle. Le rapport de 2008 « Age of Consequences: The Foreign Policy and National Security Implications of Global Climate Change » est un exemple typique ; il identifiait trois scénarios d'impacts possibles sur la sécurité nationale des États-Unis basés sur d’éventuelles augmentations de température de 1,3°C, 2,6°C, et 5,6°C. Ces scénarios s’appuient sur des recherches universitaires, tel que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), ainsi que sur des rapports des services de renseignement. À partir de ces scénarios, l'armée développe des plans et des stratégies et commence à intégrer le changement climatique dans ses exercices de modélisation et de simulation de guerre. Par exemple, le commandement des troupes américaines en Europe se prépare à une augmentation des querelles géopolitiques et à un conflit potentiel dans l’Arctique où la fonte des glaces ouvre la voie à l’exploration pétrolière et au transport international dans la région. Au Moyen-Orient, le commandement central américain a pris en compte la pénurie d’eau dans ses futurs plans de campagne. D'autres pays riches ont suivi l’exemple, considérant le changement climatique comme un « multiplicateur de menaces », à l’instar des États-Unis, en mettant l'accent sur différents aspects. L’UE, par exemple, qui ne dispose pas de mandat de défense collective pour ses 27 États-membres, insiste sur la nécessité de mener davantage de recherches, de surveillance et d'analyse, d'intégrer davantage les stratégies régionales et plans diplomatiques avec les pays voisins, de développer les capacités de gestion des crises et de réaction en cas de catastrophes et de renforcer la gestion de la migration. La stratégie du ministère de la Défense britannique de 2021 définit son objectif principal dans les termes suivants : « être en mesure de lutter et de gagner dans des environnements physiques de plus en plus hostiles et rudes », mais est également encline à renforcer ses collaborations et alliances internationales.

2. Préparation des militaires à un monde transformé par le climat

Dans le cadre de ses préparations, les militaires cherchent également à assurer leur pérennité dans un avenir marqué par des conditions météorologiques extrêmes et la montée du niveau de la mer. Ce n’est pas rien. L’armée américaine a identifié 1 774 bases concernées par la montée du niveau de la mer. L'une d’elles, la station navale de Norfolk, l'un des plus grands centres militaires au monde, est victime d'inondations chaque année.

En plus de chercher à adapter leurs installations, les forces militaires américaines et d'autres pays de l’OTAN tiennent également à montrer leur engagement pour intégrer la dimension environnementale dans leurs installations et leurs opérations. Cela a entraîné l’installation de panneaux solaires sur les bases militaires, l’utilisation de carburants alternatifs pour le transport et d’équipements alimentés par des énergies renouvelables. Le gouvernement britannique a déclaré avoir fixé un objectif de 50 % d’utilisation de sources de carburant durables pour l’ensemble des avions militaires et a engagé son ministère de la Défense à atteindre la neutralité carbone pour 2050.

Mais bien que l’armée mettent en avant ces efforts pour se mettre au vert (certains rapports ressemblent vraiment à de l’écoblanchiment d’entreprise), sa motivation la plus urgente pour adopter des énergies renouvelables est la vulnérabilité qu’a créé sa dépendance aux combustibles fossiles. Le transport de carburant pour faire fonctionner ses hummers, tanks, bateaux et jets est l'un des plus gros casse-têtes logistiques de l’armée américaine et a été une importante source de vulnérabilité pendant la campagne d’Afghanistan, car les pétroliers qui approvisionnaient les forces américaines étaient souvent attaqués par les Talibans. Une étude de l’armée américaine a constaté en moyenne une victime pour 39 convois de carburant en Irak et une victime pour 24 convois de carburant en Afghanistan. À long terme, l’efficacité énergétique, les carburants alternatifs, les unités de télécommunication solaires et les technologies renouvelables offrent la perspective d'une armée moins vulnérable, plus flexible et plus efficace. L’ancien secrétaire d’État à la Marine américaine, Ray Mabus, a déclaré sans détours : « La Marine et la Marine Corps passent aux carburants alternatives pour une raison : devenir meilleurs au combat ».

Cependant, il s’est avéré plus difficile de remplacer le pétrole dans le transport militaire (aérien, marin et terrestre) qui représente la plus grande partie de l’utilisation de combustibles fossiles par les militaires. En 2009, la marine américaine a annoncé sa « Great Green Fleet » (grande flotte verte), s’engageant à substituer la moitié de sa consommation de pétrole par des sources d’énergie non fossiles pour 2020. Mais l'initiative a rapidement échoué, car l'approvisionnement d’agrocarburant n’était pas suffisant, même avec un investissement massif de l’armée pour développer l’industrie. Entre la flambée des prix et l'opposition politique, l’initiative a pris fin. Même si elle avait été concluante, un grand nombre de preuves montre que l’utilisation de biocarburants a un coût environnemental et social (tel que l’augmentation des prix des denrées alimentaires) qui remet en cause l’affirmation selon laquelle ils représentent une alternative « verte » au pétrole.

Au-delà de l’engagement militaire, les stratégies de sécurité nationale impliquent également le déploiement du « pouvoir de convaincre » : diplomatie, coalitions et collaborations internationales, travail humanitaire. Donc la plupart des stratégies de sécurité nationale utilisent également le discours de la sécurité humaine dans le cadre de leurs objectifs et incluent les thèmes des mesures préventives, de la prévention des conflits, etc. La stratégie de sécurité nationale britannique de 2015, par exemple, parle même de la nécessité d'aborder certaines des causes profondes de l’insécurité : « Notre objectif à long terme est d’accroître la résistance des pays pauvres et fragiles face aux catastrophes, chocs et changement climatique. Cela permettra de sauver des vies et réduira le risque d'instabilité. Il est également beaucoup plus rentable d'investir dans la préparation et la résistance aux catastrophes que de réagir après l’événement ». Ces paroles sont sages, mais la façon dont les ressources sont rassemblées n’est pas claire. En 2021, le gouvernement britannique a réduit son budget à l'aide outre-mer de 4 milliards de livres, le faisant passer de 0,7 % de son revenu national brut à 0,5 %, en principe temporairement pour réduire le volume des emprunts afin de surmonter la crise du Covid-19, mais peu après, il a augmenté ses dépenses militaires de 16,5 milliards de livres (soit une augmentation annuelle de 10 %).

4. Quels sont les principaux problèmes posés par le fait de qualifier le changement climatique de question de sécurité ?

Quand le changement climatique est présenté comme une question de sécurité, le problème fondamental est que cela répond à une crise provoquée par une injustice systémique appliquant des solutions « sécuritaires », ancrée dans une idéologie et des institutions conçues pour assurer contrôle et continuité. À une époque où une redistribution radicale du pouvoir et des richesses est nécessaire pour réduire les effets du changement climatique et assurer une transition équitable, une approche sécuritaire cherche à perpétuer le statu quo. Dans ce processus, la sécurité climatique a six impacts majeurs.

 

  1. Elle dissimule ou détourne l'attention des causes du changement climatique, empêchant les changements nécessaires à un statu quo injuste. En se concentrant sur les réponses aux impacts du changement climatique et aux interventions sécuritaires éventuellement requises, ils détournent l'attention des causes de la crise climatique : le pouvoir des entreprises et des pays qui ont le plus contribué au changement climatique, le rôle de l’armée qui est l'un des plus gros émetteurs de GES institutionnels, et les politiques économiques telles que les accords de libre-échange qui ont rendu tant de personnes encore plus vulnérables aux changements liés au climat. Ils ferment les yeux sur la violence ancrée dans un modèle économique extractif mondialisé, adoptent et soutiennent implicitement la concentration permanente du pouvoir et des richesses et cherchent à mettre un terme aux conflits et à l’« insécurité » qui en découlent. Par ailleurs, ils ne remettent pas en cause le rôle des organismes de sécurité en préservant un système injuste. Donc bien que les experts en stratégie de sécurité climatique affirment qu’il est nécessaire de réduire les émissions de GES de l’armée, ils n'appellent pas à fermer des infrastructures militaires ou à réduire considérablement les budgets consacrés à l'armée ou à la sécurité pour payer les engagements existants à fournir aux pays en voie de développement un financement pour lutter contre la crise climatique afin de leur permettre d'investir dans des programmes alternatifs tels qu'un Nouveau Pacte vert mondial.
  2. Elle renforce un appareil militaire et de sécurité en plein essor et une industrie qui a déjà accumulé des richesses et un pouvoir sans précédent depuis le 11/09. Les prévisions d'insécurité climatique sont devenues un nouveau prétexte sans fin aux dépenses militaires et de sécurité pour les mesures d'urgence qui court-circuitent les normes démocratiques. Presque chaque stratégie de sécurité climatique dresse le tableau d'une instabilité croissante, qui exige une réponse sécuritaire. Comme l’a déclaré le Contre-amiral de la Navy David Titley : « C’est comme être impliqués dans une guerre de 100 ans ». Cette déclaration était présentée comme un argumentaire en faveur de l'action sur le climat, mais c’était aussi par défaut un argumentaire en faveur d'une augmentation des dépenses militaires et de sécurité. Il poursuit ainsi le schéma de longue date de l’armée qui cherche de nouvelles justifications pour la guerre, parmi lesquelles la lutte contre la consommation de drogues, le terrorisme, les pirates informatiques etc., qui ont fait exploser les budgets attribués aux dépenses militaires et sécuritaires dans le monde entier. Les demandes de sécurité de l’État, intégrées dans un discours peuplé d’ennemis et de menaces, servent également à justifier les mesures d'urgence, telles que le déploiement de troupes et la mise en place de législations d'urgence qui court-circuitent les organismes démocratiques et restreignent les libertés civiles.
  3. Elle renvoie la responsabilité de la crise climatique aux victimes du changement climatique, en les qualifiant de « risques » ou « menaces ». En examinant l'instabilité causée par le changement climatique, les défenseurs de la sécurité climatique préviennent des dangers que représentent les États qui implosent, les zones qui deviennent inhabitables et les populations qui deviennent violentes ou migrent. Dans ce processus, les personnes qui ont le moins de responsabilité dans le changement climatique sont non seulement les plus affectées, mais elles sont également considérées comme des « menaces ». L'injustice est triple. Elle s'inscrit dans une tradition de discours sécuritaires dans lesquels l’ennemi est toujours l’autre. Comme le fait remarquer l’universitaire Robyn Eckersley, « les menaces environnementales sont quelque chose que les étrangers font aux Américains ou au territoire américain », elles ne sont jamais du fait de politiques internes américaines ou occidentales.
  4. Elle renforce les intérêts des entreprises. À l’époque coloniale, voire avant, la sécurité nationale était associée à la défense des intérêts des entreprises. En 1840, le ministre britannique des Affaires étrangères, Lord Palmerston était catégorique : « C’est l'affaire du gouvernement d'ouvrir et de sécuriser les routes des marchands ». Cette approche continuer à guider les politiques étrangères de la plupart des pays, renforcée par le pouvoir croissant de l'influence des entreprises au sein des gouvernements, des universités, des institutions politiques et des organismes intergouvernementaux tels que l’ONU ou la Banque mondiale. Elle se reflète dans de nombreuses stratégies de sécurité nationale liées au climat qui expriment une inquiétude particulière concernant les impacts du changement climatique sur les voies de navigation, les chaînes d'approvisionnement et les impacts des conditions météorologiques extrêmes sur les pôles économiques. La sécurité des plus grandes entreprises transnationales se traduit automatiquement par la sécurité d'une nation entière, même si ces mêmes entreprises, telles que les entreprises pétrolières, se trouvent être les principales sources de l’insécurité.
  5. Elle crée de l'insécurité. Le déploiement des forces de sécurité crée généralement de l’insécurité pour les autres. Cela a été le cas, par exemple, avec l'invasion et l'occupation militaires dirigées par les États-Unis et soutenues par l’OTAN de l’Afghanistan, lancée avec la promesse d'éradiquer le terrorisme, qui ont pourtant fini par alimenter une guerre sans fin, le conflit, et ont provoqué le retour des Talibans et potentiellement l'émergence de nouvelles forces terroristes. De même, le déploiement des forces policières aux États-Unis et ailleurs a souvent contribué à augmenter l'insécurité des communautés marginalisées qui sont victimes de discriminations, de surveillance et d'assassinats pour garantir la sécurité des classes riches. Les programmes de sécurité climatique menés par les forces de sécurité n’échapperont pas à cette dynamique. Comme le résume Mark Neocleous : « La sécurité se définit par rapport à l'insécurité. Non seulement tout appel à la sécurité implique la spécification de la peur qui l’engendre, mais ladite peur (insécurité) exige que les contremesures (sécurité) neutralisent, éliminent ou restreignent la personne, le groupe, l’objet ou la condition qui engendre la peur ».
  6. Elle exclut d'autres moyens de traiter les impacts dus au changement climatique. Une fois que le cadre de la sécurité est déterminé, les questions qui se posent sont toujours : « qu’est-ce qui n’est pas sûr ? », « dans quelle mesure ? », et « quelles interventions sécuritaires pourraient fonctionner ? ». Jamais la question de savoir si la sécurité est la bonne approche n’est envisagée. La problématique est définie de façon binaire en termes de menace/sécurité exigeant l'intervention de l’État et justifiant souvent des actions extraordinaires en dehors des normes de la prise de décision démocratique. Cela exclut donc d'autres approches, telles que celles qui examinent des causes plus systémiques, ou sont axées sur d'autres valeurs (la justice, la souveraineté du peuple, l'alignement sur l’environnement, la justice réparatrice) ou basées sur différents organismes et approches (direction de la santé publique, des solutions basées sur le bien commun ou la communauté). Cette approche réprime les mouvements qui appellent à examiner ces approches alternatives et remettent en question les systèmes inéquitables qui perpétuent le changement climatique.

Voir également : Dalby, S. (2009) Security and Environmental Change, Polity. https://www.wiley.com/en-us/Security+and+Environmental+Change-p-9780745642918

Encadré 2 : Patriarcat et sécurité climatique

L’approche militaire de la sécurité climatique émane d’un système patriarcal qui a normalisé le recours aux moyens militaires pour résoudre les conflits et l'instabilité. Le patriarcat est profondément ancré dans les structures militaires et sécuritaires. Ce phénomène est particulièrement évident dans le leadership masculin et la domination masculine des forces nationales militaires et paramilitaires, mais il est également inhérent à la façon dont la sécurité est conceptualisée, la priorité accordée à l’armée par les systèmes politiques et la façon dont les dépenses et les réponses militaires ne sont quasiment pas remises en cause, même lorsqu’elles ne parviennent pas à tenir leurs promesses.

Les femmes et les personnes LGBT+ sont touchées de façon disproportionnées par les conflits armés et les réponses militarisées aux crises. Elles assument également un fardeau démesuré face aux impacts des crises telles que le changement climatique.

Les femmes sont également en tête des mouvements climatiques et pacifistes. C’est pour cette raison que nous avons besoin d'une critique féministe de la sécurité climatique et que nous devons nous tourner vers les solutions féministes. Ray Acheson et Madeleine Rees de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté déclarent : « Sachant que la guerre est la forme ultime d'insécurité humaine, les féministes plaident pour des solutions à long terme aux conflits et soutiennent des initiatives de paix et de sécurité qui protègent l’ensemble des peuples ».


Voir également : Acheson R. et Rees M. (2020). « A feminist approach for addressing excessive military spending » dans Rethinking Unconstrained Military Spending, UNODA Occasional Papers N° 35, p. 39–56 https://front.un-arm.org/wp-content/uploads/2020/04/op-35-web.pdf

5. Pourquoi la société civile et les mouvements écologistes prônent-ils la sécurité climatique ?

Malgré ces préoccupations, un grand nombre de mouvements écologistes et autres ont fait pression pour les politiques de sécurité climatique, telles que le World Wildlife Fund, Environmental Defense Fund et Nature Conservancy (États-Unis) et E3G en Europe. Le groupe d'action directe Extinction Rebellion Pays-Bas a même invité un important général militaire néerlandais à écrire au sujet de la sécurité climatique dans leur livret « rebel ».

Il convient de noter ici que différentes interprétations de la sécurité climatique signifient que certains groupes ne formulent peut-être pas la même vision que celle des organismes de sécurité nationale. Le politologue Matt McDonald identifie quatre visions différentes de la sécurité climatique, qui varient en fonction de l'objet de la sécurité : « les personnes » (sécurité humaine), « les États-nations » (sécurité nationale), « la communauté internationale » (sécurité internationale) et « l’écosystème » (sécurité environnementale). On voit également apparaître des programmes de pratiques de sécurité climatique qui recoupent un mélange de ces visions, dans des tentatives d’élaborer et de structurer des politiques qui pourraient protéger la sécurité humaine et éviter les conflits.

Les demandes des groupes de la société civile reflètent plusieurs de ces visions et sont le plus souvent axées sur la sécurité humaine. Mais certaines cherchent à rallier les militaires et sont prêtes à utiliser le cadre de la « sécurité nationale » pour y parvenir. Ces groupes semblent être persuadés qu'un tel partenariat peut permettre d’obtenir des réductions dans les émissions de GES des militaires, un soutien politique de la part de forces politiques souvent plus conservatrices pour renforcer les mesures d'atténuation des effets des changements climatiques, et donc faire passer le changement climatique dans les sphères puissantes du pouvoir en matière de sécurité où il pourra enfin être traité avec la priorité qui lui est due.

Parfois, des représentants de gouvernements, notamment le gouvernement Blair au Royaume-Uni (1997-2007) et l'administration Obama aux États-Unis (2008-2016) ont également utilisé les discours sécuritaires comme une stratégie pour obtenir des mesures d'atténuation des effets des changements climatiques de la part d'acteurs institutionnels réticents. Comme l'a déclaré la ministre britannique des Affaires étrangères, Margaret Beckett en 2007, lors du premier débat sur la sécurité climatique au Conseil de sécurité des Nations Unies, « Lorsqu’on parle de problèmes de sécurité, on emploie des termes différents du point de vue qualitatif de ceux qu'on emploie pour tout autre type de problème. La sécurité est un impératif, ce n’est pas une option...

Il est important d'aborder les aspects sécuritaires du changement climatique pour inciter les gouvernements qui n'ont pas encore pris de mesures. »

Ce faisant, toutefois, des visions très différentes de la sécurité se confondent et fusionnent. Et étant donné le pouvoir de coercition de l’appareil militaire et sécuritaire national, de loin supérieur à tous les autres, cela finit par renforcer un discours de sécurité nationale, en donnant souvent un lustre humanitaire ou environnemental politiquement utile aux stratégies et opérations militaires et sécuritaires, ainsi qu’aux intérêts des entreprises qu'ils cherchent à protéger et à défendre.

6. Quelles hypothèses problématiques émettent les plans de sécurité climatique militaires ?

Les plans de sécurité climatique militaires intègrent des suppositions importantes qui déterminent ensuite leurs politiques et programmes. Un ensemble d’hypothèses inhérentes à la plupart des stratégies de sécurité climatique prévoit que le changement climatique entraînera des pénuries, qui provoqueront des conflits et donc des solutions sécuritaires seront nécessaires. Dans ce scénario malthusien, les personnes les plus pauvres au monde, en particulier dans des régions tropicales, comme, par exemple, l’Afrique sud saharienne, sont considérées comme les sources de conflit les plus probables. Ce paradigme pénuries >conflit> sécurité se reflète dans d'innombrables stratégies, ce qui n’est pas surprenant pour une institution conçue pour voir le monde à travers des menaces. Le résultat est cependant un fil conducteur dystopique vers la planification de la sécurité nationale. Une vidéo de formation du Pentagone prévient de l’arrivée d'un monde de « menaces hybrides » qui émergeront des quartiers sombres des villes et que les armées ne parviendront pas à contrôler. Cela s’est traduit dans les faits, comme on a pu le constater à la Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina, où les personnes qui essayaient de survivre dans une situation complètement désespérée étaient traitées comme des combattants ennemis et l’armée leur tirait dessus au lieu de les secourir.

Comme l’a souligné Betsy Hartmann, cela s’inscrit dans la longue tradition du colonialisme et du racisme qui a délibérément considéré comme des pathologies des personnes et des continents entiers et se réjouit de projeter cela dans le futur pour justifier la dépossession et la présence militaire permanentes. Cela exclut d'autres possibilités telles que la collaboration qui pourrait émerger des situations de pénuries ou une résolution politique des conflits. Ce phénomène, comme nous l’avons vu plus haut, évite délibérément de voir que les pénuries, même à l’ère de l’instabilité climatique, sont causées par l'activité humaine et reflètent la mauvaise distribution des ressources et non des pénuries absolues. Et il justifie la répression des mouvements qui exigent un changement de système et se mobilisent, en les considérant comme des menaces, car il estime que quiconque s’oppose à l’ordre économique actuel représente un danger en contribuant à l'instabilité.


Voir également : Deudney, D. (1990) « The case against linking environmental degradation and national security », Millennium: Journal of International Studies. https://doi.org/10.1177/03058298900190031001

 

7. La crise climatique entraîne-t-elle des conflits ?

L'hypothèse selon laquelle le changement climatique entraînera des conflits est implicite dans les documents de sécurité nationale. L’examen de 2014 du ministère américain de la Défense, par exemple, indique que les impacts du changement climatique « sont des multiplicateurs de menace qui aggraveront les facteurs de stress à l’étranger, tels que la pauvreté, la dégradation de l’environnement, l'instabilité politique et les tensions sociales, des conditions qui peuvent alimenter l’activité terroriste et d'autres formes de violence ».

Un regard superficiel suggère une corrélation : 12 des 20 pays les plus vulnérables au changement climatique connaissent actuellement des conflits armés. Si corrélation n'est pas causalité, une enquête portant sur plus de 55 études sur le sujet menée par les professeurs californiens Burke, Hsiang et Miguel a tenté de démontrer des liens de causalité, déclarant que pour chaque augmentation de température de 1°C, les conflits interpersonnels augmentaient de 2,4 % et les conflits intergroupes de 11,3 %. Leur méthodologie a, depuis, été largement contestée. Un rapport de 2019 dans Nature a conclu : « À la lumière des expériences à ce jour, la variabilité et ou le changement climatique sont classés en bas de la liste des facteurs de conflit les plus importants et les experts les classent parmi les facteurs dont l’influence est la plus incertaine ».

En pratique, il est difficile de séparer le changement climatique d'autres facteurs de causalité entraînant le conflit, et rares sont les preuves montrant que les impacts du changement climatique pousseront nécessairement les individus à recourir à la violence. En effet, parfois la pénurie peut entraîner une diminution de la violence car les personnes n’ont pas d'autre choix que de collaborer. Des recherches menées dans les régions arides du district de Marsabit dans le nord du Kenya, par exemple, ont montré que pendant la sécheresse et la pénurie d’eau, la violence était moins fréquente car les communautés d’éleveurs pauvres étaient encore moins disposées à amorcer des conflits dans ces moments-là et des régimes de propriété commune solides mais flexibles qui géraient l’eau aidaient les personnes à s’adapter à sa rareté.

Ce qui est clair, c’est que l’éclatement de conflits est en majorité déterminé par les inégalités inhérentes à un monde globalisé (héritage de la guerre froide et d'une mondialisation profondément inéquitable) ainsi que par les réponses politiques problématiques apportées aux situations de crise. Les réponses maladroites ou manipulatrices des élites font souvent partie des raisons pour lesquelles des situations difficiles se transforment en conflits puis en guerres. Une étude sur les conflits en Méditerranée, au Sahel et au Moyen-Orient financée par l’UE a montré, par exemple, que les causes principales des conflits dans ces régions n'étaient pas les conditions hydroclimatiques mais le déficit démocratique, le développement économique faussé et injuste et des efforts médiocres pour s’adapter au changement climatique qui finissaient par aggraver la situation.

La Syrie est un autre exemple. De nombreux hauts responsables militaires racontent comment la sécheresse dans la région due au changement climatique a entraîné un exode rural qui a abouti à la guerre civile. Pourtant, les personnes qui ont étudié la situation de plus près ont montré que ce sont les mesures néolibérales d’Assad et leurs réductions des subventions agricoles qui ont eu un impact bien plus important que la sécheresse dans l’exode rural. Pourtant, vous aurez beaucoup de mal à trouver un analyste militaire qui blâme le néolibéralisme pour les guerres. En outre, rien ne prouve que la migration ait eu un rôle quelconque dans la guerre civile. Les migrants de la région affectée par la sécheresse n’ont pas participé largement aux protestations du printemps 2011 et aucune des demandes des protestants n’était directement liée à la sécheresse ou à la migration. C’est Assad qui a décidé de choisir la répression plutôt que les réformes en réponse aux appels à la démocratisation, ainsi que les gouvernements extérieurs dont les États-Unis qui ont transformé des manifestations pacifiques en une guerre civile interminable.

Certaines données montrent également que les probabilités de conflit peuvent être augmentées par le renforcement du paradigme climat-conflit. Cela contribue à alimenter la course aux armes, à détourner l'attention des autres facteurs à l’origine de conflits, et exclut d'autres approches pour résoudre les conflits. Le recours croissant à la rhétorique et au discours militaires centrés sur l’État concernant les cours d’eau transfrontaliers entre l’Inde et la Chine, par exemple, a saboté les systèmes diplomatiques existants pour le partage de l’eau et exposé davantage la région au risque de conflits.


Voir également : « Rethinking Climate Change, Conflict and Security », Geopolitics, Special Issue, 19(4). https://www.tandfonline.com/toc/fgeo20/19/4
Dabelko, G. (2009) « Avoid hyperbole, oversimplification when climate and security meet », Bulletin of the Atomic Scientists, 24 août 2009.

La guerre civile en Syrie a été attribuée de façon simpliste au changement climatique sans vraiment de preuves. Comme dans la plupart des situations de conflit, les causes les plus importantes sont imputables à la réponse répressive du gouvernement syrien aux manifestations, ainsi qu'au rôle d’acteurs externes qui ont exacerbé le conflit. Photo credit Christiaan Triebert (CC BY 2.0)
 

8. Quel est l’impact de la sécurité climatique sur les frontières et la migration ?

Les discours sur la sécurité climatique sont dominés par la prétendue « menace » de la migration de masse. Le rapport américain de 2007 « Age of Consequences:The Foreign Policy and National Security Implications of Global Climate Change décrit les flux migratoires à grande échelle comme « peut-être le problème le plus inquiétant associé à l’augmentation des températures et du niveau de la mer », signalant qu'ils « déclencheront de graves problèmes de sécurité et exacerberont les tensions régionales ». Un rapport de 2008 de l’UE intitulé Changements climatiques et sécurité internationale a classé la migration induite par le climat comme le quatrième problème de sécurité majeur (après les conflits au sujet des ressources, les préjudices économiques pour les villes/côtes, et les litiges frontaliers). Il appelle à « la poursuite de la mise en place d’une politique européenne globale en matière de migration » à la lumière des « tensions supplémentaires découlant des flux de migrants « environnementaux » ».

Ces avertissements ont renforcé les forces et dynamiques en faveur de la militarisation des frontières qui, même sans les alertes climatiques, étaient devenues hégémoniques dans les politiques frontalières du monde entier. Des réponses encore plus draconiennes aux flux migratoires ont entraîné la remise en cause systématique du droit international à demander l’asile et donné lieu à d’indicibles souffrances pour les personnes déplacées, victimes d'une grande cruauté, qui font des voyages de plus en plus dangereux en fuyant leur pays pour demander l’asile, et affrontent des environnements encore plus hostiles s'ils arrivent à destination.

Les discours alarmistes sur les « migrants climatiques » coïncident également avec la guerre contre le terrorisme qui a alimenté et légitimité une augmentation constante des mesures et dépenses nationales pour la sécurité à travers le monde. En effet, de nombreuses stratégies de sécurité climatique assimilent la migration avec le terrorisme, déclarant que les migrants en Asie, en Afrique, en Amérique latine et en Europe feront un terreau fertile pour la radicalisation et le recrutement par les groupes extrémistes. Elles renforcent les discours qui considèrent les migrants comme des menaces, suggérant que la migration est susceptible de s’entrecroiser avec le conflit, la violence et même le terrorisme et que cela créera inévitablement des États défaillants et une situation de chaos contre laquelle les pays riches devront se défendre.

Elles oublient de mentionner que le changement climatique pourrait en fait limiter plutôt que provoquer la migration, car les phénomènes météorologiques extrêmes détruisent même les conditions élémentaires pour la vie. Elles font également abstraction des causes structurelles de la migration et de la responsabilité d'un grand nombre de pays les plus riches au monde qui contraignent les personnes à se déplacer. La guerre et le conflit sont les causes principales de la migration avec les inégalités économiques structurelles. Pourtant, les stratégies de sécurité climatique éludent la question des accords économiques et commerciaux qui augmentent le chômage et éliminent la dépendance aux denrées alimentaires, tels que le NAFTA au Mexique, les guerres menées pour des objectifs impériaux (et commerciaux) tel qu’en Libye, ou la dévastation des communautés et de l'environnement causée par les entreprises transnationales, comme, par exemple les sociétés minières canadiennes en Amérique centrale et du sud, qui, tous, provoquent l’exode des populations. Elles oublient également de souligner que les pays dont les ressources financières sont les plus élevées sont également ceux qui accueillent le moins de réfugiés. Proportionnellement, sur les dix pays qui accueillent le plus de réfugiés au niveau mondial, seule la Suède est un pays riche.

La décision de se concentrer sur les solutions militaires pour répondre à la question de la migration, plutôt que d’envisager des solutions structurelles ou même charitables a entraîné une augmentation massive du financement et de la militarisation des frontières dans le monde entier pour anticiper une augmentation considérable de la migration induite par le climat. Les dépenses américaines allouées aux frontières et à la migration sont passées de 9,2 milliards de dollars à 26 milliards de dollars entre 2003 et 2021. L’agence européenne de garde-frontières Frontex a vu son budget passer de 5,2 millions d’euros en 2005 à 460 millions d’euros en 2020, et 5,6 milliards d’euros ont été réservés à Frontex pour la période 2021-2027. Les frontières sont désormais « protégées » par 63 murs dans le monde entier.

Et les forces militaires sont affectées à la « gestion » des migrants aux frontières nationales et de plus en plus loin de leurs pays. Les États-Unis déploient souvent des navires de la marine et des garde-côtes américains pour patrouiller dans les Caraïbes. Depuis 2005, l’UE a déployé son agence Frontex dans le cadre d'une collaboration avec les flottes des États-membres ainsi que celles des pays limitrophes pour surveiller la Méditerranée. L’Australie a, quant à elle, fait appel à ses forces navales pour empêcher des réfugiés de rejoindre ses côtes. L'inde a déployé un nombre croissant d'agents de la BSF (Border Security Force, force de sécurité des frontières indienne), les autorisant à faire usage de la violence à sa frontière orientale avec le Bangladesh, qui devient ainsi l’une des frontières les plus meurtrières au monde.


Voir également : Série du TNI sur la militarisation des frontières et l'industrie de la sécurité des frontières : Border Wars (Guerre aux frontières) https://www.tni.org/en/topic/border-wars
Boas, I. (2015) « Climate Migration and Security: Securitisation as a Strategy in Climate Change Politics. » Routledge. https://www.routledge.com/Climate-Migration-and-Security-Securitisation-as-a-Strategy- in-Climate/Boas/p/book/9781138066687

9. Quel rôle jouent les forces armées dans la création de la crise climatique ?

Au lieu de considérer l’armée comme une solution à la crise climatique, il vaudrait mieux examiner comment elle contribue à la crise climatique du fait des niveaux élevés d’émissions de GES qu’elle produit et de son rôle central dans le maintien de l’économie des combustibles fossiles.

D'après un rapport du Congrès américain, le Pentagone est l’organisation qui consomme le plus de pétrole au monde, et pourtant, en vertu des règles actuelles, il n'est pas tenu de prendre de mesures drastiques pour réduire les émissions conformément aux connaissances scientifiques actuelles. Une étude de 2019 estimait le taux d’émissions de GES du Pentagone à 59 millions de tonnes, soit un taux supérieur au total des émissions du Danemark, de la Finlande et de la Suède en 2017. Scientists for Global Responsibility a calculé que les émissions de l’armée britannique s’élevaient à 11 millions de tonnes, ce qui équivaut à 6 millions de voitures, et les émissions de l’UE atteignent 24,8 millions de tonnes, la France étant responsable d'un tiers du total. Ces études sont toutes des estimations prudentes, étant donnée l'absence de données transparentes. Il a également été déterminé que cinq fabricants d'armes basés dans des États-membres de l’UE (Airbus, Leonardo, PGZ, Rheinmetall et Thales), ensemble, ont produit au moins 1,02 millions de tonnes de GES.

Le haut niveau d’émissions de GES des militaires s’explique par leurs infrastructures tentaculaires (l'armée est souvent le plus grand propriétaire foncier dans la majorité des pays), leur présence mondiale, en particulier les États-Unis, qui ont plus de 800 bases militaires dans le monde entier, dont beaucoup sont impliquées dans des opérations anti-insurrectionnelles dépendantes des combustibles, et la consommation élevée de combustibles fossiles de la plupart des systèmes de transports militaires. Un avion de chasse F-15, par exemple, consomme 342 barils (54 510 litres) d’essence par heure, et il est quasiment impossible de remplacer l’essence par des alternatives d’énergie renouvelable. Les équipements militaires tels que les avions et les navires ont des cycles de vie de longue durée et produiront donc des émissions de GES pendant encore de nombreuses années.

Le plus gros impact sur les émissions est cependant l’objectif prédominant des militaires qui est de sécuriser l’accès de son pays aux ressources stratégiques, garantir le bon fonctionnement du capital et gérer l'instabilité et les inégalités qu’il engendre. C’est ce qui a entraîné la militarisation de régions riches en ressources telles que le Moyen-Orient et les pays du Golfe, et les voies de navigation autour de la Chine, et a également fait de l’armée le pilier coercitif d'une économie basée sur la consommation de combustibles fossiles et engagée dans une croissance illimitée.

Enfin, l'armée affecte le changement climatique à travers le coût d'opportunité d'investir dans l'armée plutôt que d'investir dans la lutte contre le dérèglement climatique. Les budgets militaires ont quasiment doublé depuis la fin de la guerre froide, bien qu'ils n’apportent aucune solution aux plus grandes crises actuelles, telles que le changement climatique, les pandémies, les inégalités et la pauvreté. À une époque où la planète a besoin du plus gros investissement possible dans la transition économique pour atténuer les effets du changement climatique, le public s’entend souvent dire que les ressources nécessaires pour répondre aux demandes de la science du climat ne sont pas disponibles. Au Canada, par exemple, le Premier ministre Trudeau s’est félicité de ses engagements à l’égard du climat, pourtant, son gouvernement a consacré 27 milliards de dollars au ministère de la Défense nationale, et seulement 1,9 milliards de dollars au ministère de l’Environnement et du changement climatique en 2020. Il y a vingt ans, le Canada a dépensé 9,6 milliards de dollars pour la défense et seulement 730 millions de dollars pour l’environnement et le changement climatique. Donc au cours des deux dernières décennies, durant lesquelles la crise climatique s’est aggravée, les pays ont dépensé davantage pour l’armée et l’armement que pour prendre des mesures pour éviter un changement climatique catastrophique et pour protéger la planète.


Voir également : Lorincz, T. (2014), Demilitarisation for deep decarbonisation, IPB.
Meulewaeter, C. et al. (2020) « Militarism and Environmental Crisis: a necessary reflection », Centre Delas. http://centredelas.org/publicacions/miiltarismandenvironmentalcrisis/?lang=en

10. Quels liens l’armée et les conflits entretiennent-ils avec l’économie pétrolière et extractive ?

Au cours de l'histoire, les guerres ont souvent été provoquées par la lutte des élites pour contrôler l’accès à des sources d’énergie stratégiques. C'est une constatation qui vaut tout particulièrement pour l’économie du pétrole et des combustibles fossiles qui a déclenché des guerres internationales, des guerres civiles, l’émergence de groupes paramilitaires et terroristes, des conflits concernant la navigation ou des pipelines, et une importante rivalité géopolitique des régions clés du Moyen-Orient à l’océan Arctique aujourd'hui (la fonte des glaces donne accès à de nouvelles réserves de gaz et voies de navigation).

Une étude montre qu’entre un quart et la moitié des guerres entre États qui ont éclaté depuis le début de l’ère moderne du pétrole dans les années 1973 sont liées au pétrole, l'invasion de l’Irak dirigée par les États-Unis en 2003 en étant un exemple flagrant. Le pétrole a également, au sens propre et au sens figuré, lubrifié l'industrie de l’armement, en fournissant à de nombreux États à la fois les ressources et le motif pour continuer à dépenser des fortunes dans l’armement. En effet, certaines données montrent que les ventes d’armes sont utilisées par les pays pour sécuriser et préserver l’accès au pétrole. En 1985, le Royaume-Uni a signé son plus gros contrat de vente d'armes, le « contrat Al-Yamamah », dans lequel il s’engageait à fournir des armes à l’Arabie Saoudite, qui ne respecte pas les droits de l’homme, pendant de nombreuses années en échange de 600 000 barils de pétrole brut par jour. BAE Systems a gagné des dizaines de milliards grâce ces ventes, qui ont contribué à subventionner les propres achats d'armes du Royaume-Uni.

Au niveau mondial, la demande croissante de produits primaires a entraîné l’expansion de l’économie extractive dans de nouvelles régions. Ce phénomène a menacé l’existence même et la souveraineté de certaines communautés, qui se sont par conséquent organisées pour résister, générant des conflits. La réponse a souvent été une répression policière brutale et la violence de groupes paramilitaires, qui, dans de nombreux pays, sont en étroite collaboration avec des entreprises locales et transnationales. Au Pérou, par exemple, Earth Rights International (ERI) a révélé l’existence de 138 accords signés entre les entreprises extractives et la police pendant la période 1995-2018 « qui autorisaient la police à fournir des services de sécurité privés à l’intérieur des installations et autres zones [...] de projets d’extraction contre des avantages ». L'assassinat de la militante indigène hondurienne Berta Cáceres par des paramilitaires liés à l’État qui travaillaient pour l’entreprise de barrage Desa est l’un des nombreux cas à travers le monde où la connexion entre le capitalisme mondial, l’industrie extractive et la violence politique créent un environnement meurtrier pour les militants et les membres des communautés qui osent résister. L’ONG Global Witness a suivi cette montée de violence au niveau mondial et a dévoilé le nombre record de 212 défenseurs des droits à la terre et de l'environnement assassinés en 2019, soit une moyenne de plus de quatre par semaine.


Voir également : Orellana, A. (2021) Neoextractivism and state violence: Defending the defenders in Latin America, State of Power 2021. Amsterdam: Transnational Institute.

Encadré 3 : Militarisme et pétrole au Nigeria

Le rapport entre le pétrole, le militarisme et la répression n’a peut-être jamais été aussi flagrant qu’au Nigeria. Les régimes coloniaux qui l’ont gouverné et les gouvernements qui se sont succédé depuis son indépendance ont utilisé la force pour garantir le transfert du pétrole et des richesses à une petite élite. En 1895, une force navale britannique a mis le feu à Brass pour garantir le monopole de la Royal Niger Company sur le commerce de l'huile de palme sur le fleuve Niger. On estime à 2 000 le nombre de personnes qui y ont perdu la vie. Plus récemment en 1994, le gouvernement nigérian a mis en place la Rivers State Internal Security Task Force pour mettre un terme aux manifestations pacifiques d’Ogoniland contre les activités polluantes menées par Shell Petroleum Development Company (SPDC). La violence de leurs interventions en Ogoniland a entraîné la mort de plus de 2 000 personnes et la flagellation, le viol et le non-respect des droits de l'homme de tant d'autres.

Le pétrole a alimenté la violence au Nigeria, d'abord en fournissant les ressources qui ont permis aux militaires et aux régimes autoritaires de prendre le pouvoir avec la complicité de multinationales pétrolières. Comme l’a remarqué un dirigeant nigérian de Shell : « Pour qu’une entreprise commerciale fasse des investissements, l’environnement doit être stable. Les dictatures peuvent permettre cette stabilité. » C’est une relation symbiotique : les entreprises fuient la surveillance démocratique et les militaires sont encouragés et enrichis en assurant la sécurité. Ensuite, le pétrole a créé un terrain propice au conflit au sujet de la distribution des revenus du pétrole ainsi que la destruction de l’environnement causée par les compagnies pétrolières. Cette situation a donné lieu à une résistance armée et à un conflit en Ogoniland, ainsi qu’une réponse militaire cruelle et acharnée.

Bien qu’une paix fragile ait été instaurée depuis 2009 lorsque le gouvernement nigérian a accepté de payer des salaires mensuels à des ex militants, les conditions pour une réémergence du conflit sont toujours présentes et d'actualité dans d'autres régions du Nigeria.

Ces recherches sont basées sur l’ouvrage de Bassey, N. (2015) « We thought it was oil, but it was blood: Resistance to the Corporate- Military wedlock in Nigeria and Beyond », dans la collection d’essais accompagnés par N. Buxton et

B. Hayes (éditeurs) (2015) The Secure and the Dispossessed: How the Military and Corporations are Shaping a Climate-Changed World. Pluto Press et TNI.

 

 

11. Quel est l’impact du militarisme et de la guerre sur l’environnement ?

Par nature, le militarisme et la guerre donnent la priorité aux objectifs de sécurité nationale à l’exclusion de tout le reste, et s’accompagnent d'une forme d’exceptionnalisme qui signifie que l'armée bénéficie souvent d’une marge de manœuvre pour ignorer des réglementations et des restrictions même limitées pour protéger l’environnement. En conséquence, les forces militaires et les guerres ont laissé un héritage environnemental véritablement catastrophique. Non seulement les militaires ont consommé des niveaux élevés de combustibles fossiles, mais ils ont également déployé des armes et pièces d'artillerie très toxiques et polluantes, visé des infrastructures (pétrole, industries, services des eaux usées, etc.) causant des dommages environnementaux durables et ont laissé des paysages jonchés de restes d'armes et de munitions toxiques explosées et non explosées.

L'histoire de l’impérialisme américain est également celle d'une destruction de l’environnement, telle que la contamination nucléaire continue des Îles Marshall, le déploiement de l’agent orange au Vietnam et l’utilisation d’uranium appauvri en Irak et en ex-Yougoslavie. La plupart des sites les plus contaminés aux États-Unis sont des installations militaires et sont répertoriés sur la liste nationale des priorités d'action en vertu de la loi SuperFund de l’EPA (Environmental Protection Agency).

Les pays touchés par la guerre et les conflits subissent également les impacts à long terme de l’effondrement des structures de gouvernance, qui nuit au respect des réglementations relatives à l’environnement, oblige les personnes à détruire leurs propres environnements pour survivre et entraîne la création de groupes paramilitaires qui extraient souvent des ressources (pétrole, minéraux, etc.) en recourant à des pratiques extrêmement destructives pour l’environnement et en bafouant les droits de l'homme. La guerre est d’ailleurs parfois qualifiée de « développement durable à l’envers ».


Voir également : Conflict and Environment Observatory primer: How does war damage the environment.

12. Les forces armées ne sont-elles pas nécessaires aux interventions humanitaires ?

La principale justification des investissements dans les forces armées en temps de crise climatique est qu’elles seront nécessaires pour répondre aux catastrophes climatiques, et de nombreux pays déploient déjà leur armée à cet effet. À la suite du typhon Haiyan qui a dévasté les Philippines en novembre 2013, l’armée américaine a déployé 66 avions, 12 navires et environ 1 000 militaires pour nettoyer les routes, transporter des travailleurs humanitaires, distribuer de l’aide alimentaire et évacuer des personnes. Pendant les inondations de juillet 2021 en Allemagne, l’armée allemande [Bundeswehr] a contribué à renforcer les protections contre les inondations, à secourir des personnes et à nettoyer à la décrue des eaux. Dans de nombreux pays, notamment dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, l’armée est peut-être actuellement la seule institution ayant la capacité, le personnel et les technologies en mesure de répondre aux catastrophes naturelles.

Le fait que l'armée puisse avoir un rôle humanitaire ne signifie pas qu’elle soit l’institution la mieux placée pour le faire. Certains dirigeants militaires s’opposent à l’intervention des forces armées dans les tâches humanitaires, déclarant que cela détourne les militaires de la préparation à la guerre. Même s’ils assument le rôle, l'implication des militaires dans les réponses humanitaires comporte certains dangers, notamment dans les situations de conflit ou lorsque les réponses humanitaires coïncident avec les objectifs stratégiques des militaires. Erik Battenberg, expert en politique étrangère américaine, admet ouvertement dans le magazine the Hill que « les secours portés par les militaires en cas de catastrophe n’est pas seulement un impératif humanitaire, ils peuvent également servir un impératif stratégique plus large dans le cadre de la politique étrangère américaine ». Cela signifie que l’aide humanitaire comporte un programme caché, qui prévoit au minimum d’exercer le pouvoir de convaincre mais cherche souvent à influencer activement des régions et des pays afin qu'ils servent les intérêts d'un pays plus puissant, même au coût de la démocratie et des droits de l'homme. Les États-Unis ont longtemps utilisé l’aide humanitaire dans le cadre de mesures contre-insurrectionnelles dans plusieurs « guerres sales » en Amérique latine, en Afrique et en Asie avant, pendant et après la guerre froide. Au cours des deux dernières décennies, les forces militaires des États-Unis et de l’OTAN ont été très impliquées dans des opérations militaires et civiles en Afghanistan et en Irak qui déploient des armes et utilisent la force parallèlement à des mesures d'aide et de reconstruction. Le plus souvent, les conséquences ont été contraires au but humanitaire. Des violences militaires ont eu lieu en Irak, comme par exemple, les mauvais traitements infligés aux détenus de façon généralisée dans la base militaire de Bagram. Même aux États-Unis, les troupes déployées à la Nouvelle-Orléans ont tiré sur des résidents désespérés, mus par le racisme et la peur.

L’engagement militaire peut également nuire à l'indépendance, à la neutralité et à la sécurité des travailleurs humanitaires civils, qui courent plus de risque de devenir les cibles de groupes militaires rebelles. L'aide militaire finit souvent par coûter plus cher que les opérations d'aide aux populations civiles en détournant des ressources limitées de l’État au profit des militaires. La tendance a suscité de graves préoccupations chez des organismes tels que la Croix rouge et le Croissant rouge et Médecins sans frontières.

Pourtant, l'armée prévoit une plus grande présence humanitaire en temps de crise climatique. Un rapport de 2010 du Center for Naval Analysis, intitulé Climate Change: Potential Effects on Demands for US Military Humanitarian Assistance and Disaster Response (Changement climatique : effets potentiels sur les demandes d’aide humanitaire et de réaction en cas de catastrophe auprès de l’armée américaine), affirme que les tensions liées au changement climatique exigeront non seulement davantage d’aide humanitaire de la part de l'armée, mais également son intervention pour stabiliser les pays. Le changement climatique est devenu la nouvelle excuse de la guerre permanente. Il ne fait aucun doute que les pays auront besoin d’équipes de secours efficaces ainsi que de la solidarité internationale, sans pour autant impliquer l’armée. Une force civile renforcée ou nouvelle à vocation humanitaire uniquement, qui n’aurait pas d'objectifs contradictoires, pourrait être mobilisée. Par exemple, Cuba, dont les ressources sont limitées et qui fait l’objet d'un embargo, a mis en place une structure de défense civile hautement efficace dans chaque communauté qui, combinée à une communication efficace de l’État et des conseils d’experts en météorologie, a permis à l’île de survivre à plusieurs ouragans et à atteindre un nombre de blessés et de morts inférieur à celui de ses voisins plus riches. Lorsque l’ouragan Sandy s’est abattu sur Cuba et les États-Unis en 2012, seules 11 personnes sont mortes à Cuba, contre 157 aux États-Unis. L’Allemagne dispose également d’une structure civile, Technisches Hilfswerk/THW (organisme de secours technique contrôlé par le gouvernement fédéral) principalement composé de bénévoles, qui est généralement mobilisée en cas de catastrophes.

13. Comment les entreprises d'armement et de sécurité cherchent-elles à tirer profit de la crise climatique ?

« Je pense que [le changement climatique] est une véritable opportunité pour l'industrie [aérospatiale et défense) », a déclaré Lord Drayson en 1999, alors ministre d'État des sciences et de l'innovation et chargé de la Réforme de l’acquisition de la défense stratégique du Royaume-Uni. Il n’avait pas tort. L’industrie des armes et de la sécurité a explosé au cours des dernières décennies. Par exemple, les ventes de l’industrie des armes ont doublé entre 2002 et 2018, passant de 202 milliards de dollars à 420 milliards de dollars, et de nombreuses sociétés d'armement telles que Lockheed Martin et Airbus ont élargi leurs activités à tous les domaines de la sécurité, de la gestion des frontières à la surveillance intérieure. Et l’industrie s’attend à encore plus de bénéfices avec le changement climatique et l’insécurité qu’il va créer. Dans un rapport de mai 2021, Marketsandmarkets prévoyait l’explosion des bénéfices de l'industrie de la sécurité intérieure du fait des « conditions climatiques dynamiques, de l'augmentation des catastrophes naturelles, de la priorité accordée par les gouvernements aux politiques de sécurité ». On s’attend à ce que l'industrie de la sécurité des frontières augmente de 7 % chaque année et l’industrie de la sécurité intérieure de 6 % par an.

L'industrie profite de plusieurs manières. Premièrement, elle cherche à tirer profit de tentatives menées par les principales forces militaires de développer de nouvelles technologies qui ne dépendent pas des combustibles fossiles et qui soient résistantes aux impacts du changement climatique. Par exemple, en 2010, Boeing a remporté un contrat de 89 millions de dollars avec le Pentagone pour développer le fameux drone « SolarEagle », avec QinetiQ et le Centre for Advanced Electrical Drives de l’Université de Newcastle au Royaume-Uni pour créer l'avion réel, qui a l'avantage d’être considéré comme une technologie « verte » et la capacité de rester dans les airs plus longtemps car il n’a pas besoin d’être rechargé en carburant. Lockheed Martin aux États-Unis travaille avec Ocean Aero pour fabriquer des sous-marins à énergie solaire. Comme la plupart des entreprises transnationales, les entreprises d'armement sont également désireuses de promouvoir leurs efforts pour réduire leur impact environnemental, du moins d'après leurs rapports annuels. Étant donnés les effets dévastateurs des conflits sur l’environnement, leur écoblanchiment devient surréaliste ; en 2013, le Pentagone a investi 5 millions de dollars pour développer des balles sans plomb qui, selon les termes d’un porte-parole de l’armée américaine « peuvent vous tuer ou vous permettre de tirer sur une cible sans risque pour l’environnement ».

Deuxièmement, l’industrie anticipe de nouveaux contrats du fait de l’augmentation des budgets des gouvernements pour anticiper l'insécurité future provoquée par la crise climatique. Cela fait exploser les ventes d'armes, d’équipements utilisés aux frontières et équipements de surveillance, de solutions utilisées par les forces de police et la sécurité intérieure. En 2011, la deuxième conférence E2DS (Energy Environmental Defence and Security) à Washington DC se félicitait de l’opportunité d'affaires potentielles que représentait l’expansion de l'industrie de la défense sur les marchés de l’environnement, déclarant qu'ils faisaient huit fois la taille du marché de la défense et que « le secteur de l’aérospatiale, la défense et la sécurité se prépare à ce qui est appelé à devenir son plus important marché voisin depuis l’émergence du commerce de la sécurité civile/intérieure il y a près de dix ans ». Dans son rapport de 2018 sur la durabilité, Lockheed Martin met en valeur les opportunités, déclarant que « le secteur privé a également un rôle à jouer en réponse à l'instabilité géopolitique et aux événements qui peuvent menacer les économies et les sociétés ».

14. Quel est l’impact des discours sur la sécurité climatique au niveau interne et sur le maintien de l’ordre ?

Les visions sur la sécurité nationale ne concernent pas seulement les menaces extérieures, mais également les menaces intérieures, y compris à l’égard d’intérêts économiques clés. La loi British Security Service Act de 1989, par exemple, est explicite lorsqu’elle confie au service de sécurité la fonction de « sauvegarder le bien-être économique » de la nation. De même, la loi américaine National Security Education Act de 1991 établit un lien direct entre la sécurité nationale et « le bien-être économique des États-Unis ». Ce processus s’est accéléré après le 11/09, lorsque la police a été considérée comme la première ligne de défense intérieure.

Ces événements ont été interprétés comme la gestion de troubles civils et la préparation à tout type d'instabilité, dans lequel le changement climatique est considéré comme un nouveau facteur. En conséquence, les gouvernements ont augmenté le financement de services de sécurité : déploiement de forces de police, prisons, garde-frontières, etc. Tout cela a été englobé dans une nouvelle litanie de « gestion de crise » et « interopérabilité », avec des tentatives pour mieux intégrer les organismes publics impliqués dans la sécurité, telle que l'ordre public et les « troubles sociaux » (la police), la « connaissance situationnelle » (collecte de renseignements), la résilience/préparation (planification civile) et l’intervention en cas d’urgence (qui inclut les premiers intervenants, la lutte contre le terrorisme ; la défense chimique, biologique, radiologique et nucléaire ; la protection des infrastructures critiques, la planification militaire etc.) dans de nouvelles structures de « commandement et de contrôle ».

Ce phénomène s’est accompagné d’une augmentation de la militarisation des forces de sécurité internes, ce qui signifie que de plus en plus, les forces coercitives visent l'intérieur autant que l’extérieur. Aux États-Unis, par exemple, le ministère de la Défense a transféré plus d'un milliard de dollars d’équipements militaires excédentaires aux ministères dans tout le pays depuis le 11/09 par le biais de son programme 1033. Ces équipements comprennent plus de 1 114 véhicules résistants aux mines, blindés ou MRAP. Les forces de police ont également acheté de plus en plus de matériel de surveillance, dont des drones, des avions de surveillance, des technologies de suivi des téléphones portables.

La militarisation substitue l'intervention de la police. Les perquisitions menées par les équipes de SWAT aux États-Unis ont explosé, passant de 3 000 par an dans les années 1980 à 80 000 en 2015, la plupart du temps pour des recherches de drogue, et visent les personnes de couleurs de manière disproportionnée. Comme nous l’avons vu précédemment, dans le monde entier, la police et les entreprises de sécurité privées sont souvent impliquées dans la répression et les assassinats de militants écologistes. Le fait que la militarisation cible de plus en plus les militants écologistes déterminés à lutter contre le changement climatique montre que non seulement, les solutions sécuritaires ne parviennent pas à enrayer les causes sous-jacentes, mais elles risquent bien d'aggraver la crise climatique.

Cette militarisation s'infiltre également dans les interventions d'urgence. Le ministère de la Sécurité intérieure, qui a mis en place un fonds de « préparation au terrorisme » en 2020, permet que ce même fonds soit utilisé pour « améliorer la préparation à d'autres risques non liés aux actes de terrorisme ». Le programme européen de protection des infrastructures critiques (EPCIP) englobe également sa stratégie de protection des infrastructures contre les effets du changement climatique dans un cadre de « lutte contre le terrorisme ». Depuis le début des années 2000, de nombreux pays riches ont promulgué des lois relatives à des pouvoirs d'urgence qui pourraient être déployées en cas de catastrophes climatiques, ont une portée très vaste et présentent une responsabilité démocratique limitée. La loi britannique de 2004 sur les contingents civils, par exemple, définit une « urgence » comme tout(e) « événement ou situation » qui « menace de porter gravement atteinte au bien-être humain » ou « à l’environnement » d’« un endroit au Royaume-Uni ». Elle permet aux ministres d'introduire des « réglementations d'urgence » de portée virtuellement illimitée sans recourir au Parlement, permettant également à l’État d'interdire les assemblées, les voyages et « d'autres activités spécifiques ».

 

15. Que prévoit le programme de sécurité climatique dans d'autres domaines tels que les aliments et l’eau ?

Le discours et le cadre de la sécurité se sont infiltrés dans tous les domaines de la vie politique, économique et sociale, notamment pour ce qui concerne la gouvernance des ressources naturelles essentielles telles que l’eau, les aliments et l’énergie. Comme pour la sécurité climatique, le discours de la sécurité des ressources est déployé avec plusieurs significations, mais présente des écueils similaires. Il est porté par l’idée que le changement climatique augmentera la vulnérabilité de l'accès à ces ressources critiques et qu'il est par conséquent capital de fournir une réponse « sécuritaire ».

De nombreuses données montrent qu’effectivement, l’accès aux aliments et à l’eau sera affecté par le changement climatique. Le rapport spécial du GIEC sur le changement climatique et les terres émergées de 2019 prévoit une augmentation allant jusqu'à 183 millions de personnes concernées par le risque de famine en 2050 à cause du changement climatique. Le Global Water Institute prévoit que 700 millions de personnes à travers le monde pourraient être déplacées à cause d'une grande pénurie d’eau en 2030. Ces phénomènes auront lieu dans des pays à revenu faible qui seront le plus touchés par le changement climatique.

Cependant, on remarque que de nombreux acteurs éminents qui mettent en garde contre l’insécurité liée aux aliments, à l’eau ou à l’énergie formulent des logiques nationalistes, militaristes et d’entreprise similaires qui dominent les débats sur la sécurité climatique. Les défenseurs de la sécurité présupposent l'arrivée de pénuries, alertent sur les dangers de coupures nationales et font souvent la promotion de solutions d’entreprise orientées par le marché et parfois défendent le recours aux forces militaires pour garantir la sécurité. Leurs solutions à l'insécurité reprennent une recette standard axée sur l’optimisation de l’approvisionnement, le développement de la production, la promotion de l’investissement privé et l’utilisation de nouvelles technologies pour surmonter les obstacles. Dans le domaine des aliments, par exemple, cela a entraîné l’émergence d’une agriculture intelligente face au climat, axée sur l’augmentation du rendement des récoltes dans le contexte du changement de températures, qui est introduite par le biais d'alliances telles que l’AGRA dans laquelle les principales entreprises agroindustrielles jouent un rôle important. Cette situation a également alimenté une financiarisation et la privatisation de l’eau, les acteurs du secteur estimant que le marché est le mieux placé pour gérer les pénuries et les interruptions.

Dans le processus, les injustices existantes dans les systèmes énergétique, alimentaire et de distribution d’eau sont totalement ignorées. Le manque d'accès à la nourriture et à l’eau relève moins de la pénurie que de la façon dont les systèmes alimentaire, énergétique et de distribution d’eau dominés par les entreprises favorisent le profit au détriment de l’accès. Ce système a permis une surconsommation, des systèmes nocifs pour l’environnement et le gaspillage des chaînes d'approvisionnement mondiales par une petite poignée d’entreprises qui servent les besoins d’un petit groupe et refusent complètement l’accès à la majorité. En temps de crise climatique, cette injustice structurelle ne sera pas résolue en augmentant l’approvisionnement, qui ne fera qu'accroître l’injustice. Seules quatre sociétés, ADM, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus, par exemple, contrôlent entre 75 et 90 % des échanges mondiaux de céréales. Pourtant, non seulement ce système alimentaire dirigé par l’entreprise, malgré d’énormes profits, ne combat pas la famine qui touche 680 millions de personnes mais il est aussi l'un des plus gros émetteurs de GES, responsable de 21 à 37 % du total des émissions.

Les écueils de cette vision de la sécurité dirigée par l’entreprise ont incité plusieurs mouvements citoyens à appeler à la souveraineté, la démocratie et la justice pour la nourriture et l’eau afin de régler de front les problèmes d’équité et de garantir un accès égal aux ressources de base, en particulier en temps d'instabilité climatique. Les mouvements pour la souveraineté alimentaire, par exemple, demandent le droit des personnes à produire, distribuer et consommer une nourriture sûre, saine et appropriée à leur culture, de façon durable sur et à proximité de leur territoire. Toutes ces questions sont ignorées par le terme « sécurité alimentaire » et tout à fait contraires à la quête de profits de l’agroindustrie mondiale.

 


Voir également : Borras, S., Franco, J. (2018) Agrarian Climate Justice: Imperative and opportunity, Amsterdam: Transnational Institute.
Hands off the Land (2016), Cooling the planet: Frontline communities lead the struggle: Voices from the Global Convergence of Land and Water Struggles

16. Peut-on sauver le mot sécurité ?

Bien sûr, beaucoup appelleront à la sécurité, qui reflète le désir universel de veiller sur les choses importantes et de les protéger. Pour beaucoup de personnes, sécurité signifie avoir un emploi décent, un toit, un accès aux soins de santé et à l’éducation et se sentir protégé. On comprend donc aisément pourquoi les groupes de la société civile ont été réticents à abandonner le mot « sécurité », cherchant plutôt à élargir sa définition pour inclure et donner la priorité à des menaces réelles au bien-être humain et écologique. Il est également compréhensible qu’à une époque où quasiment aucun politicien ne réagit à la crise climatique avec le sérieux qu’elle mérite, les écologistes cherchent à trouver de nouveaux cadres et de nouveaux alliés pour tenter d’obtenir les mesures nécessaires. Si l’on pouvait remplacer une interprétation militaire de la sécurité par une vision de la sécurité humaine orientée sur les personnes, cela ferait grandement avancer les choses.

Certains groupes tentent de le faire, comme l’initiative Rethinking Security au Royaume-Uni, ou le Rosa Luxemburg Institute dont le travail esquisse les contours d'une nouvelle politique de sécurité de gauche. Le TNI a également travaillé sur le sujet, proposant une stratégie alternative à la guerre contre le terrorisme. Cependant, le terrain est difficile, étant donnés les importants déséquilibres de pouvoir dans le monde entier. Le floutage du sens du mot sécurité dessert ainsi les intérêts des puissants, et l’interprétation militariste et entrepreneuriale centrée sur l’État prévaut sur les autres visions telles que la sécurité humaine et écologique. Comme l’a formulé le professeur Ole Weaver, spécialiste des relations internationales, « en appelant un certain développement un problème de sécurité, l’État peut revendiquer un droit spécial, un droit qui, finalement, sera toujours défini par l’État et ses élites ».

Ou, comme l’a déclaré le professeur critique de la sécurité Mark Neocleous, « La sécurisation des questions de pouvoir social et politique a l’effet débilitant de permettre à l’état d’absorber l'action politique concernant les problèmes en question, de consolider le pouvoir des formes de domination sociale existantes et de justifier le court-circuitage des procédures démocratiques libérales les plus minimes. Plutôt que de sécuriser les problèmes, nous devrions donc rechercher des moyens de les politiser de façon non sécuritaire. Il convient de rappeler que l'un des sens de « sûr » est « dans l’impossibilité de s’échapper » : nous devrions éviter de penser le pouvoir de l’État et la propriété privée à travers des catégories qui risquent de nous mettre dans l'impossibilité de leur échapper ». En d'autres termes, nous avons de solides arguments pour abandonner les cadres de la sécurité et adopter des approches qui fournissent des solutions équitables durables à la crise climatique.


Voir également : Neocleous, M. and Rigakos, G.S. eds., 2011. Anti-security. Red Quill Books.

17. Quelles sont les alternatives à la sécurité climatique ?

Il est clair que si les choses ne changent pas, les impacts du changement climatique seront dictés par les mêmes dynamiques que celles qui ont entraîné la crise climatique : pouvoir concentré et impunité des entreprises, armée pléthorique, État sécuritaire de plus en plus répressif, augmentation de la pauvreté et des inégalités, affaiblissement des formes de démocratie et idéologies politiques favorisant la cupidité, l'individualisme et le consumérisme. Si celles-ci continuent à dominer la politique, les impacts du changement climatique seront également inéquitables et injustes. Pour assurer la sécurité de chacun dans la crise climatique actuelle, et particulièrement les plus vulnérables, il serait de bon ton de confronter ces forces plutôt que de les renforcer. C’est pourquoi de nombreux mouvements sociaux parlent de justice climatique plutôt que de sécurité climatique, parce que ce dont nous avons besoin, c’est d'une transformation des systèmes, pas simplement de permettre à une réalité injuste de se perpétuer dans l'avenir.

Surtout, la justice aurait besoin d'un programme urgent et exhaustif de réduction des émissions par les pays les plus riches et les plus polluants dans le cadre d'un Nouveau Pacte vert ou d'un pacte économique et social qui reconnaisse la dette climatique qu’ils doivent aux pays et communautés des pays du sud. Cela exigerait une importante redistribution des richesses aux niveaux national et international et le traitement prioritaire des problématiques des personnes les plus vulnérables aux impacts du changement climatique. Le financement climatique dérisoire auquel se sont engagés (et qui reste à mettre en œuvre) les pays les plus riches vis-à-vis des pays à revenu faible et intermédiaire n’est absolument pas à la hauteur de la tâche. Pour commencer, une partie des 1 981 milliards de dollars de dépenses militaires mondiales actuelles pourrait être réaffectée pour créer une réponse davantage basée sur la solidarité aux impacts du changement climatique. De même, une taxe sur les profits des entreprises offshore pourrait permettre de réunir de 200 à 600 milliards de dollars par an pour soutenir les communautés vulnérables les plus affectées par le changement climatique.

Au-delà de la redistribution, nous devons commencer à affronter les points faibles de l’ordre économique mondial qui pourraient rendre les communautés particulièrement vulnérables avec l’escalade de l’instabilité due au changement climatique. Michael Lewis et Pat Conaty suggèrent sept caractéristiques essentielles pour rendre une communauté « résiliente » : diversité, capital social, écosystèmes sains, innovation, collaboration, systèmes réguliers de retours et modularité (c’est-à-dire concevoir un système dans lequel la rupture d'un composant n’affecte pas les autres). D'autres recherches ont montré que les sociétés les plus équitables sont également beaucoup plus résilientes en périodes de crise. Tous ces éléments portent à penser qu'il est nécessaire de transformer fondamentalement l’économie mondialisée actuelle.

La justice climatique impose de mettre les personnes qui seront les plus touchées par l’instabilité climatique à la tête des solutions. Il ne s’agit pas simplement de garantir que les solutions fonctionnent pour elles, mais de donner voix aux nombreuses communautés marginalisées qui ont déjà certaines réponses à la crise qui nous concerne tous. Par exemple, les mouvements paysans, avec leurs méthodes agroécologiques, utilisent non seulement des systèmes de production alimentaire qui s’avèrent être plus résilients que l’agroindustrie face au changement climatique, mais ils stockent également davantage de carbone dans les sols, et créent des communautés qui font front commun en cas de périodes difficiles.

Ces systèmes requièrent la démocratisation de la prise de décision et l’émergence de nouvelles formes de souveraineté qui impliqueraient nécessairement une réduction du pouvoir et du contrôle des militaires et des entreprises et une augmentation du pouvoir et des responsabilités des citoyens et des communautés.

Enfin, la justice climatique exige une approche centrée sur des formes pacifiques et non violentes de résolution des conflits. Les plans de sécurité climatique alimentent les discours de la peur et un monde de gagnants et de perdants dans lequel seuls les gagnants peuvent survivre. Ils se basent sur le conflit. La justice climatique, en revanche, examine les solutions qui nous permettront de nous en sortir collectivement, où les conflits sont résolus de façon non violente, et où les plus vulnérables sont protégés.

Dans tout ça, nous pouvons nous inspirer de l’histoire pour espérer ; les catastrophes ont souvent fait ressortir le meilleur des personnes, en créant des mini-sociétés utopiques éphémères, basées précisément sur la solidarité, la démocratie et la responsabilisation que le néolibéralisme et l'autoritarisme ont éliminé des systèmes politiques contemporains. Rebecca Solnit a recensé ces phénomènes dans Paradise in Hell , dans lequel elle étudie en profondeur cinq catastrophes importantes, du tremblement de terre de 1906 à San Francisco aux inondations de 2005 à la Nouvelle-Orléans. Elle constate que bien que ces événements ne soient jamais un bien en soi, ils peuvent aussi « révéler un autre monde, révéler la force de cet espoir, cette générosité et cette solidarité. Ils montrent que l'aide mutuelle est un mode de fonctionnement par défaut et que la société civile attend son heure ».

 

Pour en savoir plus sur ces sujets, achetez le livre : N. Buxton et B. Hayes (éditeurs) (2015) The Secure and the Dispossessed: How the Military and Corporations are Shaping a Climate-Changed World.

REMERCIEMENTS : Simon Dalby, Tamara Lorincz, Josephine Valeske, Niamh Ní Bhriain, Wendela de Vries, Deborah Eade, Ben Hayes

Le contenu du présent rapport peut être cité ou reproduit à des fins non commerciales à condition de mentionner la source. Le TNI apprécierait de recevoir un exemplaire ou un lien du texte dans lequel le document est utilisé ou cité.

Ideas en movimiento

Impulsa nuestra labor

Si deseas apoyar nuestro trabajo, considera realizar una donación. Nos comprometemos a que nuestra valiosa investigación esté accesible sin costo, pero para eso necesitamos de tu ayuda. Si todas las personas que leen nuestro contenido realizan una donación de tan solo €12 podremos apoyar nuestro trabajo durante tres años.

Done Ahora