La production d'électricité a débuté en Égypte au XIXe siècle.1 Dans les années 1940, l'État publie une loi réglementant les investissements du secteur privé dans les services publics.2 Cette loi régit la durée des concessions accordées aux entreprises pour la fourniture de services publics, ainsi que les prix de ces services pour les particuliers, tout en veillant à ce que la production soit rentable. En 1948, un département spécialisé est créé pour réglementer les concessions dans le secteur de l'électricité.3
Le secteur privé restera un acteur de la production d'électricité en Égypte jusqu'à la vague de nationalisations d’entreprises dans les années 1960.4 Le processus de nationalisation se voulait être alors une vision étatique ambitieuse qui vise à étendre la couverture du réseau électrique. Un organisme public chargé de planifier l'extension du réseau à travers la république est ainsi créé en 1964.5 Sept ans plus tard, un autre département spécialisé est créé pour réaliser l'électrification des campagnes égyptiennes.6
Le rôle de l'État dans la production d'électricité figure comme l'un des éléments du modèle économique "socialiste arabe" déployé des années 1960 à la fin des années 1980, dans lequel le gouvernement se doit d’encadrer la fourniture des services de base. Ce système permet à la population d’acheter de l'électricité à des prix compatibles avec les niveaux de salaire des travailleurs. Par ailleurs, l’État a également joué un rôle crucial dans la délimitation des emplois disponibles dans le secteur privé.7
Mais l’aggravation de la crise de la dette extérieure au cours de la seconde moitié des années 1980, incite l'État égyptien à s'engager dans un programme global de démantèlement du modèle "socialiste arabe", une mesure qui constitue alors, une condition préalable à l'obtention d'un prêt du FMI dans les années 1990.8 Le programme repose sur le retrait de l'État de l'économie, afin de donner au secteur privé l'espace nécessaire pour se développer, et de mettre fin aux politiques de distorsion des prix, telles que le contrôle des taux d'intérêt et des échanges de devises et de marchandises, tout en procédant au recours aux financements extérieurs, se substituant aux emprunts contractés auprès de la banque centrale (par exemple pour l'impression de la monnaie).
Le réajustement des tarifs de l'électricité est l'une des propositions avancées figurant dans le nouveau programme économique mis en œuvre dans les années 1990, l'objectif étant que le prix de l'énergie devait correspondre à son coût réel en 1995. Mais cet objectif ne sera pas atteint.9 Par la suite, le recul engagé par l'État au sujet de la libéralisation du secteur de l'électricité, a constitué l'un des nombreux cas, dans les années 1990, de désengagement étatique envers les mesures du FMI, et ce, par crainte de provoquer le mécontentement populaire. Des décennies de "socialisme arabe" avaient contribué à la politisation de la vie économique ; l'abandon de cette responsabilité politique exigeait donc que l’État adopte une approche de réformes plus graduelle.
Ce mouvement de recul étatique et de désengagement vis-à-vis du FMI contrastait avec les efforts investis au cours de cette période, efforts clairement manifestés à travers l'accélération du processus de privatisation au sein du secteur industriel public dans les années 1990. Le gouvernement égyptien s’est montré beaucoup plus hésitant en ce qui concerne la libéralisation des prix des carburants et de l'énergie. De nombreux amendements législatifs visant à libéraliser le secteur de l'électricité ont été adoptés dans les années 1990 et 2000, mais le secteur n’a fait que reproduire son fonctionnement sur la base du modèle de gestion à l'œuvre au cours des décennies précédentes. Ainsi, dans une étude de cas publiée par la Banque mondiale, se penchant sur le processus de libéralisation en cours, lors de cette période, il est affirmé que la transformation s’est opérée davantage en apparence qu’en substance.10
L'un de ces changements apparents a été le transfert, en 1993, de la responsabilité de la distribution de l’électricité du Ministère de l'Électricité au Ministère des Entreprises publiques. Nouvellement créé, ce dernier devait contrôler la quasi-totalité des secteurs de l'industrie et des services publics. Il est important de noter que le ministère était en droit de céder les actifs de ces secteurs, notamment ceux liés à l'énergie électrique. Ce transfert de responsabilité entre les deux ministères a été considéré comme une étape qui mènerait vers la privatisation des organismes publiques, sous le contrôle du nouveau ministère, mais une fois encore, cela n'a pas eu lieu.
En 2000, les entreprises publiques de production et de distribution d'électricité, ainsi que l'Egyptian Electricity Transmission Company (EETC), fusionnent au sein d'une société holding. Dans cette nouvelle configuration, ces sociétés sont censées devenir en mesure d’offrir un pourcentage de leurs actions sous la forme d’une offre publique initiale (IPO). Cependant, cela n’aura à nouveau pas lieu.
En 1996, un amendement législatif important est apporté à la loi régissant l’organisme égyptien de l’électricité.11L’amendement permettait la diffusion d'une nouvelle forme d'exploitation dans le cadre du système BOT, avec toutefois des dispositions prévoyant la restitution des actifs concernés au gouvernement après une période donnée. Il s'agit de la plus sérieuse tentative de libéralisation du secteur de l'électricité à cette époque. L'amendement étant en grande partie conforme aux objectifs des politiques budgétaires de la fin des années 1990, il concernait surtout la réduction du déficit budgétaire. Mais la libéralisation restait partielle, et les conditions ne se sont pas réunies pour permettre l’expansion du système BOT. Si l'amendement de 1996 a permis au secteur privé de mettre un pied dans la production d'énergie, le ministère de l'Electricité a continué de détenir le monopole propre à l'achat de l’énergie face aux entreprises. Et puisque le gouvernement s’était engagé à maintenir les prix à un certain niveau pour les consommateur·trices finaux, investir avec lui était manifestement risqué : les crises étaient susceptibles de creuser l'écart entre le prix auquel le secteur privé vendait l'électricité à l'État et le prix auquel elle était revendue au consommateur final. Dans un tel scénario, le gouvernement était susceptible de ne pas respecter ses engagements envers le secteur privé.
Ce risque se concrétisa après que l'Égypte ait été contrainte en 2003 de dévaluer sa monnaie à la suite de deux crises majeures : la crise financière dans les pays d'Asie du Sud-Est, et les dommages causés à l'industrie touristique, suite aux actes terroristes survenus à l’époque.12 Puisque les contrats passés par l'État avec les producteurs d'électricité du secteur privé exigeaient l’ajustement des prix en fonction de la variation des taux de change, le coût de ses engagements risquait de devenir exorbitant. Par conséquent, le gouvernement renonça à ses plans visant à étendre les droits d'utilisation des producteurs indépendants.13 Ainsi, seuls trois producteurs indépendants obtinrent ces droits, et participèrent à la production d’environ 10 % seulement de la production d'électricité totale dans toute l’Égypte.14
Au cours de cette période, l'État poursuivit le développement des infrastructures électriques, en s'appuyant pour cela sur les financements des banques publiques et des pays partenaires du développement. En parallèle, des augmentations limitées des tarifs facturés aux consommateur·trices finaux sont appliquées, augmentations que la Banque mondiale jugera insuffisantes pour couvrir le prix réel de la production d'électricité dans un contexte d’inflation.15
À la fin des années 2000, les contradictions du modèle de subvention de l'électricité ont atteint un point critique. Le trésor public n’était plus en mesure de financer l'expansion et la maintenance des réseaux de production et de distribution d'électricité. Cela est dû à deux facteurs : premièrement, la croissance rapide de la demande, qui a été renforcée à la fois par le raccordement de la quasi-totalité du pays au réseau d'électricité, et par les investissements à forte intensité énergétique, attirés par les prix bon marché de l'énergie. Deuxièmement, l’incapacité de financer la production électrique trouvait une explication également dans le fait que les dépenses publiques étaient sévèrement limitées par la politique de réduction du déficit, et la mise en œuvre de politiques fiscales non progressives visant à attirer les investissements, ce qui limitait alors le montant des recettes publiques.16